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— Dans le monde du sport, c’est comme à la Bourse, on ne s’arrête pas généralement aux mots. Maintenant suppose autre chose. Le handicaper, au lieu d’être un honnête homme, est une conscience facile. Je vais le trouver et lui laisse entendre que, si mon cheval obtient un bon poids, je suis disposé à n’être pas ingrat. Mon cheval a bien couru toute l’année cependant, malgré son mérite reconnu, il obtient un poids léger et, grâce à ce poids, il gagne.

— Mais c’est une volerie.

— Encore ! Fais donc attention, gros naïf, que ce que je te mets là en supposition est souvent la réalité. Si tu vivais dans notre monde, les noms te viendraient sur les lèvres. Ainsi, tiens, l’année dernière, un de mes amis engage un de ses chevaux dans un des grands handicaps de l’Angleterre ; avant que les poids soient fixés, il envoie son jockey chez le handicaper. En arrivant à la porte de celui-ci ce jockey rencontre un autre jockey qui sortait. « Si tu vas demander un poids léger, dit celui qui sortait, je te préviens qu’il est trop tard, il m’est accordé. » L’autre, sans se décourager, entre comme s’il ne savait rien. « Mon maître, dit-il, voudrait bien obtenir un bon poids pour son cheval, et si vous pouvez le lui accorder, il vous abandonnera le montant du prix et mille livres. » Le premier jockey n’avait offert que le montant du prix, le second offrait 25 000 fr. en plus, il a eu un meilleur poids ; et en paris son maître a gagné plus de cinq cent mille francs. Je ne te dis pas que tous les jours et partout cela se passe ainsi, mais enfin cela arrive. »

J’étais stupéfait ; je ne comprenais pas parfaitement tout ce que du Vallon m’expliquait, mais il y en avait assez pour étonner un naïf comme moi.

« Tu vois donc, poursuivit du Vallon, que le handicaper peut très-bien se laisser tromper par les propriétaires trop adroits, de même qu’il peut aussi être trop adroit lui-même. Ajoute encore qu’il peut céder à toutes sortes d’autres considérations : tantôt il y a un propriétaire qui est son ami et naturellement il est disposé à le favoriser ; tantôt ce propriétaire a été malheureux toute l’année, et dans les meilleures intentions du monde, pour qu’il puisse se rattraper, on donne un poids léger à ses chevaux.

— Et si je n’accepte pas le poids imposé à mon cheval ?

— Tu le retires de la course, tu payes cent ou deux cents francs, selon le montant du forfait, et c’est fini.

— Sans réclamer ?