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camarade Chopard était devenu un des plus célèbres gentlemen riders de France.

Vous pensez si je fus exact le lendemain au rendez-vous.

À onze heures je sonnais à la porte d’un entre-sol, rue de Ponthieu. Un domestique vint m’ouvrir.

« M. Cho’Pard du Vallon ? »

Au lieu de me répondre, le domestique secoua la tête.

« Ce n’est pas ici ? »

Il pencha la tête trois fois en avant pour dire oui.

« Alors il ne peut pas recevoir ? »

Il secoua la tête pour dire non ; tout cela d’un air lugubre.

« Mais j’ai rendez-vous avec lui.

— Hélas ! monsieur, il est sous le suaire, dit-il d’une voix caverneuse.

— Ah ! mon Dieu ! » et je fis un bond comme si j’avais reçu une balle en pleine poitrine. Sous le suaire, mon pauvre Chopard que j’avais vu la veille si gai et si solide.

Quoique ce domestique ne fût guère causeur, ce que je m’expliquai très-bien, pensant à l’affliction dans laquelle un pareil coup l’avait dû jeter, je voulus l’interroger.

« Mais comment cela est-il arrivé ? Je l’ai vu hier au théâtre.

— Au dîner, monsieur, il n’y pensait pas, mais cette nuit en rentrant il me dit : « Demain je me mets sous le suaire. »

— Comment ! il se met sous le suaire ? alors c’est un suicide !

— Oui, monsieur, c’est le vrai mot, un suicide ; un homme si fort, si solide, si bien bâti, c’est un suicide. Les flanelles, les couvertures, ce n’est rien, mais le suaire ! »

Je baissai la tête.

« N’est-ce pas, monsieur, que c’est un crime ? Une fois, deux fois on en revient, mais trop souvent… »

Je le regardai avec stupéfaction.

Comment trop souvent ? Ah çà ! qu’est-ce que tout cela voulait dire ? Est-ce que Chopard avait pour amusement de se faire ensevelir tous les huit jours ? Mais non, c’était la douleur qui troublait la raison de ce pauvre domestique et le rendait fou.

« Je vois bien que monsieur est un ami de M. du Vallon, dit-il, si monsieur voulait entrer et le voir. »

Je fis quelques pas en arrière ; c’est peut-être une faiblesse, mais je