Quand le travail de l’esprit n’est pas la plus noble de toutes les professions, c’est le plus vil de tous les métiers. Le désespoir, la haine, l’envie, la misère, le doute, le vice et la démence sont au bout, quelquefois au milieu de cette carrière méprisable où la concurrence remplace l’émulation, où la popularité triche la gloire, où l’argent est un but, la débauche un aiguillon et l’ivresse une muse.
Le voyez-vous, ce malheureux jeune homme, au visage contracté, aux tempes jaunies, à la bouche grimaçante, aux yeux vagabonds ? Il était né pour marcher libre et joyeux derrière une charrue, en semant avec un geste fier le grain de la moisson prochaine ; le soir, il eût mangé devant l’âtre le pain gagné dans le jour ; chacun de ses pas, de ses mouvements eût donné la vie ! Regardez-le, dans la grande ville, pressant, le jour et la nuit, sa tête dans ses deux mains, la pétrissant et lui faisant suer des récits, des aventures, des combinaisons pour une foule affamée qui le dévore et passe à un autre quand elle ne peut plus rien tirer de lui. Pendant un temps plus ou moins long, cet homme fera épouser Henriette par Arthur, surprendre l’amant par le mari, empoisonner celui-ci, guillotiner celui-là, avec intérêt habilement suspendu à la fin du chapitre ou du feuilleton. Il va vendre successivement de l’amour, de la jalousie, des larmes, de l’histoire, de la gaudriole, de l’argot, de la satire, de la morale, de l’éloge, de l’insulte, de la politique, du progrès, du sentiment, de l’obscénité, de la religion, de la copie enfin, de deux sous à cinq sous la ligne, selon le goût du lecteur, les tendances du journal, et le cours du moment. Quand il aura mangé son fonds, il vivra sur le fonds d’autrui ; il rafistolera les vieilles comédies, rapiécera les vieux romans, réchauffera les ana des vieux siècles. Il mangera les bibliothèques ! il avalera les quais ! Il lui faut des idées, des anecdotes, des mots, du plaisir, de la notoriété, de l’argent. Dépêchons-nous, il s’agit d’être célèbre ! une fois célèbre, on est coté ! une fois coté, on est riche ! une fois riche, on est libre ! Libre ! Voilà le rêve de toutes les minutes, rêve irréalisable ! Mais le journal est pressé ! mais le théâtre ne peut