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Mais elle n’est rien, je ne pourrais que descendre jusqu’à elle. N’y pensons plus, n’y pensons plus !

Pour arriver à ce but, Sterny chercha à occuper à la fois ce qu’il croyait encore son esprit et son cœur.

Le lendemain, quand il reparut au club, il s’attendait à quelque allusion de la part de ses amis ; mais une conspiration s’était organisée contre lui, on ne lui adressa pas une parole à ce sujet ; seulement Eugène lui dit d’un air grave : « Je parie vingt sous contre vous, Sterny. »

Les dames de ces messieurs le saluèrent, en le recevant dans les coulisses de l’Opéra, avec des révérences de rosières et des yeux baissés. Sterny comprit la plaisanterie et voulut y répondre victorieusement ; il joua comme un furieux et fit presque peur à Lingart dont son audace dérangea tous les calculs.

Il poursuivit cette belle fille de l’Opéra qu’on disait si parfaite et qui venait de débuter avec un succès énorme. Ni Lingart, ni Eugène, ni les autres, n’en purent approcher, tant il y mit d’ardeur désespérée. Au bout d’une semaine, elle appartenait à Sterny, qui l’avait traitée avec l’insolence la plus cavalière.

Mais, — quinze jours après la partie de Saint-Germain, — un soir qu’il était avec sa lionne dans une loge des Français, il reconnut en face de lui deux femmes qui le regardaient avec attention.

L’une était la femme de Prosper, l’autre était Lise.

« Comme on vous regarde de cette loge ! lui dit la danseuse, est-ce qu’on vous y connaît ?

— Non, dit Sterny qui rougit malgré lui de son mensonge.

— Pourquoi donc vous retirer au fond de la loge ! On dirait que vous avez peur !

— Ah ! trêve de jalousies auxquelles je ne crois pas, dit Sterny,

— Mais si l’on ne vous connaît pas, il n’y a pas de jalousie à avoir. »

Sterny se pencha hors de la loge, et vit Lise écoutant deux jeunes gens qui causaient et paraissaient parler de lui.

Tout à coup Lise releva vivement la tête et regarda Sterny avec un effroi indicible, comme si on venait de lui dire :

« Cet homme est le bourreau. »

Léonce se retira sans oser la saluer, pour ne pas l’exposer aux regards insultants de sa maîtresse ; mais il voulut sortir.

« Si vous quittez ma loge, lui dit celle-ci… je fais un esclandre… Vous connaissez cette femme ? »