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le bruit, l’agitation, le désordre, et même un peu le scandale. Elles s’habillent d’une manière inconvenante, elles font événement partout. Elles ont horreur du repos ; au spectacle, elles changent de place à chaque moment, elles vont boire dans le foyer ; elles affectent des peurs enfantines, et poussent des cris aigus pour le moindre événement. Elles aiment les cadeaux dans toutes les anciennes acceptions du mot, c’est-à-dire les soupers fins et les présents coûteux ; elles se laissent donner ou plutôt elles se font offrir des bijoux, qu’elles portent naïvement, non de ces bijoux insignifiants qui ont d’autant plus de prix qu’ils ont moins de valeur, qui ne sont précieux que par le souvenir, et que l’on nomme avec raison des sentiments, mais de vrais bijoux ayant un poids véritable, de gros joyaux estimés dans le commerce, qu’un père et un grand-oncle ont seuls le droit de donner. Dans le salon de ces femmes, rien ne se passe d’une façon convenable. On n’y parle point comme ailleurs. Là on ne se sent plus dans le monde. On n’y éprouve plus le besoin de s’observer, de se contraindre et de se fuir ; les préférences s’y révèlent avec la plus aimable candeur, l’on se cherche, l’on se trouve ; et quand on s’est trouvé, on ne se quitte plus. La société n’y est pas une réunion générale, c’est une collection de tête-à-tête attachants. Ce n’est plus l’harmonie d’une conversation à grand orchestre, c’est le gazouillement de vingt duos mélodieux. On y respire un parfum de mauvaise compagnie qui est piquant par le contraste, car le bel hôtel de ces grandes dames ressemble à une petite maison.

Il y a d’autres femmes riches, immensément riches, très-haut placées dans le monde, très-indépendantes par leur position, qui cependant sont nées dames du palais, qui trouvent toujours moyen d’être à la suite d’une autre femme quelquefois placée au-dessous d’elles. Ces femmes ont des instincts d’esclaves et des qualités de confidentes ; elles excellent dans l’art de servir toutes les mauvaises passions. Ce sont des Œnones qui finissent toujours par se procurer une Phèdre, et qui la composeraient même au besoin. Comme leur empire est fondé sur des confidences, elles se hâtent de fabriquer le secret. Ces femmes-là sont extrêmement dangereuses, comme tout ce qui vit aux dépens de quelqu’un. Accepter, choisir toute sa vie une position secondaire, ce n’est pas d’une âme élevée. La complaisance n’a rien de commun avec le dévouement. Ces femmes, nées dames du palais, sont rarement maîtresses de maison. Quelle que soit leur fortune, tout chez elles se ressent de leur état de domesticité. On va les voir un moment aux heures où leur princesse n’est