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elles sont toujours en scène, mais sans prétention, sans le savoir et naturellement ; elles préparent dans leur salon des reconnaissances, des rencontres imprévues ; elles jouent dans la même soirée toutes sortes de rôles. Premier rôle. Amies dévouées : Elles traversent la foule et viennent vous serrer la main en levant les yeux au ciel. Second rôle. Grandes coquettes : Elles détachent de leur bouquet une branche de bruyère et la donnent avec un doux sourire à un jeune ou même à un vieux soupirant. Troisième rôle. Mères sensibles : Elles courent embrasser une petite fille de douze ans qu’une bonne mère aurait envoyée coucher à neuf heures. Quatrième rôle. Protectrices bienfaisantes : Elles font chanter un ange de vertu qui n’a pas de voix. Quoique duchesses ou princesses, elles redeviennent actrices par la force de leur naturel. Leur salon est un théâtre.

Il y a aussi de très-grandes dames qui sont nées portières et qui se maintiennent portières dans les positions les plus élevées. Chez elles, tous les jours, chacun en passant va raconter sa petite anecdote et déposer sa fausse nouvelle. Elles connaissent tout le quartier, c’est-à-dire tout le monde. Elles savent, à ne jamais s’y tromper, le chiffre de la fortune de chacun : celui-ci dépense trop, celui-là pourrait dépenser davantage ; — les N… ne sont pas si riches qu’on le croit ; les D… sont beaucoup moins pauvres qu’ils ne le disent. Cette jeune fille a un amour dans le cœur. — Cette autre ne se mariera jamais, à cause de sa mère. — M. de R… ne va plus chez Mme  de P… — Les Demarcel sont brouillés avec les Marilly. — Le petit Ernest est très-occupé de Mme de T… ; ils étaient hier ensemble au Gymnase. — La jolie duchesse de…, qui monte si bien à cheval, rencontre souvent par hasard au bois de Boulogne le prince de… — M. X… a vendu son poney au grand J…, qui ne pourra jamais le monter. — Les pauvres Z… ont supprimé leur voiture. — Les petites de T… sont devenues des héritières par la mort d’un jeune oncle. — Mme  S… est bien attrapée d’avoir épousé un vieux mari qui se porte mieux qu’elle. Les Saint-Bertrand ne vont plus en Italie ; ils viennent d’acheter le château de…, etc., etc., etc. Voilà ce qu’on dit à peu près chez ces femmes-là. Leur magnifique salon est une loge de portier.

D’autres grandes dames sont nées… il faut bien dire le mot… sont nées courtisanes. En vain leur excellente éducation les a préservées de tout mauvais goût ; malgré elles, et par une pente insensible, elles sont redescendues au triste rang que la nature leur avait imposé. Elles aiment