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d’admiration. Les files de ponts toujours couverts de monde, qui s’étendent sur le fleuve, n’étaient pas une des choses qui m’étonnaient le moins. Cela me paraissait aussi grand que toute l’Alsace, et si je n’avais pas été forcé de suivre Montborne, qui marchait toujours, je me serais arrêté là quelques instants.

Le Pont-Neuf était bordé de baraques où l’on faisait de la friture, mais je me suis laissé dire qu’on les a toutes abattues depuis.

Après avoir traversé ce pont et regardé la statue en courant, nous tournâmes sur l’autre côté du quai, bordé de rampes en pierre ; et plus loin nous arrivâmes à droite, dans la vieille rue de la Harpe. Cette rue avait l’air de descendre sous terre, s’étendait, en remontant plus loin, jusqu’à la vieille place Saint-Michel. J’avais vu tant de palais, tant de cathédrales, tant d’arcs de triomphe, tant de maisons magnifiques, tant de richards roulant en voiture ; j’étais tellement ébloui de ces choses, qu’en remontant la vieille rue de la Harpe, toute grise, toute décrépite, pleine de gens en manches de chemise, en veste, en petite robe, en camisole, qui couraient d’une porte à l’autre, qui fumaient des pipes aux fenêtres, qui portaient de l’eau sur les épaules, qui faisaient de la friture à leur porte, et qui semblaient vivre là chez eux de père en fils, que j’en eus le cœur soulagé.

Je trouvai même à cette rue un air de vieux Saverne ; c’était vieux… vieux ! On voyait des marchands de ferraille, comme chez nous, et de vieilles portes rondes toutes noires, où se tenaient des marchands de livres, de bretelles et de savates. Enfin je pensai :

« Maintenant nous ne sommes plus avec des millionnaires. »

Je m’attendrissais de voir des gens de la même espèce que moi, qui vendaient, achetaient et travaillaient pour vivre. Montborne me dit que cela s’appelait le quartier Latin. Il prit ensuite une autre rue à gauche, et finit par s’arrêter devant une maison étroite, haute de six étages au moins, et me dit :

« Nous y sommes, Jean-Pierre. »

C’était près d’une vieille bâtisse en arrière de l’alignement ; un mur assez bas suivait la rue, et par-dessus ce mur on voyait le toit de ce vieux nid, et ses petites fenêtres comme au couvent de Marmoutier. J’ai su plus tard que cela s’appelait l’hôtel de Cluny, et qu’on y mettait toutes les vieilleries de la France.

Mon auberge se dressait un peu plus loin. Je crois encore la voir avec son pignon décrépit, où s’avançaient des pierres d’attente jusque