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stance, comme certains érudits ne prennent que dans Bouillet la science dont ils ont besoin pour le jour même. — C’est la cave Bouillet.

Quant au dîner qu’apportent tout fait à domicile les entrepreneurs de festins, il n’en faut pas parler. C’est de la cuisine de confection, et quand leurs maîtres d’hôtel vous offrent leur éternel filet de bœuf à la jardinière, ils feraient mieux, de dire : à la belle jardinière.

L’inconvénient du dîner en ville provient surtout de ce que son but n’est pas défini.

Si c’est un acte de politesse, il est manqué quand le dîner n’est pas bon.

Si c’est une partie de gourmandise, cela devient alors un rendez-vous sérieux, une épreuve grave, et la première chose à faire, si l’on consulte les gourmands, les buveurs fins, les raffinés de la table, ce serait d’en exclure les femmes.

D’abord, disent-ils, parce que les femmes se font attendre et n’arrivent qu’en retard. — Généralement ce retard est de trois quarts d’heure.

Puis elles portent des robes dont la jupe semble faire exprès de se glisser sous les pieds des chaises de leurs voisins.

Puis elles ne mangent pas. Les hommes sont honteux de manger à côté d’elles, et les domestiques mettent à profit cette sorte d’indifférence générale pour glisser leurs pilons et leurs carcasses et ne donner que deux asperges — en branche.

Puis enfin les femmes prolongent le dessert et encouragent sa niaise profusion. Elles fuient devant le cigare. Trop heureux si elles ne nous envoient pas fumer dans une smoking room sans feu !

On devrait adopter franchement deux systèmes de dîner.

Ou le dîner raout, beaucoup de fleurs sur la table, peu de substances nourrissantes, grand dessert, poires duchesse, petits-fours, bombes glacées.

Ou le dîner pratique. Bon vin, pas de madère, puisqu’il n’en existe plus, pas de plats majestueux, pas de fleurs, pas de petits-fours.

C’est une utopie. Le mauvais dîner prévaudra ; il devient d’une fréquence inquiétante, et ses dangers sont tels que, je le répète, ce n’est pas l’invité qui doit dans la huitaine envoyer sa carte chez l’inviteur, mais bien celui-ci qui doit le lendemain envoyer prendre des nouvelles de celui qu’il a voulu empoisonner.

nestor roqueplan.