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coupe les pièces du menu de façon que les bons morceaux restent pour la cuisine. Sous son couteau les pilons deviennent des blancs ; les blancs ne sont pas pris dans le droit fil, les grosses pièces ne sont jamais attaquées dans la noix, les truffes disparaissent ou sont noyées dans ce gargottis fallacieux appelé sauce Périgueux, et dont la base n’est que de la pelure de truffes chamarrée d’une immonde chair à saucisses.

Il faudrait au moins que ce scélérat imposant vous présentât le plat sur lequel il a étalé sa victuaille taillée en fausse coupe.

Dans beaucoup de maisons c’est lui qui choisit lui-même et dépose sur l’assiette qui vous est présentée les arêtes de poisson, les croupions déguisés, les quarts de truffes, les miettes de foie gras, les deux asperges en branche ! crie-t-il, et les douze petits pois que sa générosité vous distribue !

Ce genre de service est désobligeant, parce qu’il vous met à la discrétion d’un homme dont l’intérêt persistant est de faire disparaître les ailes et de n’offrir que les pilons.

Chacun doit se servir lui-même, à son goût, à sa proportion, dans le plat qui est mis à sa portée.

Une des plus grandes douleurs du dîner en ville, c’est l’uniformité de son organisation et de son menu : qui en a mangé un en a mangé cent.

Après cette soupe ridicule composée d’un bouillon pâle et sans œils, et dans laquelle s’entre-choquent de petits losanges blancs : « Madère ! » s’écrie sans rire un valet de pied qui fait semblant de croire qu’il tient à la main du vin de Madère, et non pas une décoction de fleurs de sureau, étendue d’eau-de-vie de pomme de terre.

« Château-Yquem 47 ! » s’écrie un autre mystificateur, comme s’il ne savait pas qu’il verse du petit vin de Lunel coupé avec du grave !

« Turbot sauce aux câpres ! sauce aux crevettes ! »

La rage vous saisit. « Nous sommes pincés, disent les gens d’expérience ; nous n’échapperons pas le filet de bœuf aux champignons farcis. ».

Puis le délire vous prend. On mange de tout un peu, on s’empoisonne avec variété et par petits morceaux, on grignote sa mort.

Au dessert, on voudrait du bouilli.

Dans la généralité, le dîner en ville est mauvais et pernicieux.

Par cette première raison que presque plus personne n’a de cave, et que la plupart des donneurs de dîners achètent du vin pour la circon-