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fraises à la fois parfumées et savoureuses sont la fraise des bois de nos environs, la Victoria, la Marguerite.

Le retour de ces agréables aliments, auxquels les fleurs mêlent leur odeur variée et leur riche couleur, donnent aux palais et à la vue des voluptés douces et naturelles qui reposent de toutes les sophistications culinaires de l’hiver. On se sent soulagé de n’avoir plus à manger tant de truffes.

Enfin, on est heureux de n’avoir plus à dîner en ville.

Le sentiment de l’hospitalité, l’ennui de manger seul, la gourmandise, l’ostentation, ont créé cette corvée inhospitalière qui s’appelle le dîner en ville, et que les Parisiens s’infligent entre eux avec une férocité implacable et toujours croissante.

Aussi, vers la fin de l’hiver, alors que la session des truffes annonce ses dernières séances, les délicats et les sensés qui veulent défendre leur goût et leur estomac se sentent, nous le disions, comme délivrés d’un péril et d’un cauchemar.

Fort peu de gens, quand ils se mettent dans l’esprit de donner à dîner, se rendent honnêtement compte de ce qu’ils entreprennent sur leurs semblables.

La principale préoccupation d’un amphitryon est de montrer :

Son argenterie,

Son mobilier,

La toilette de sa femme.

Nous ne parlons pas du dîner comique où l’on mange des vol-au-vent, du turbot sanguinolent, du gibier douteux : et des truffes de Montmartre, où la maitresse de la maison organise au dessert un défilé méthodique et interminable de tous les bonbons fanés et des petits-fours plâtreux qu’elle a achetés elle-même, et dont elle récite tous les noms. C’est du guet-apens, on en rit plus tard ; c’est le dîner Paul de Kock ; il est odieux non moins que risible. C’est surtout par le dessert qu’il attente au système nerveux des convives.

Nous parlons du dîner ordinaire, qui n’est qu’honnêtement mauvais sans être ridicule ; du dîner qu’on appelle improprement un dîner de bonne maison, parce qu’il est servi par deux gredins en livrée, que commande un autre gredin généralement grand, habillé de noir, et décoré du titre de maître d’hôtel.

Ce matador de l’office est à jamais exécrable. Les deux autres valets se contentent de tacher les habits et les robes des convives. Celui-là dé-