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le père de famille inintelligent, le mari qui a sur la fidélité des femmes l’opinion de M. Paul de Kock, la majorité des commerçants, des hommes d’affaires, des pères de famille par conséquent, tous ces braves gens-là, l’homme médiocre, leur semblable, les rassure. Il leur va comme un gant, et la logique veut que les portes qui se ferment pour le premier s’ouvrent toutes grandes pour le second. Et, d’ailleurs, qui est-ce qui, dans une société où l’intérêt personnel domine, ne fait pas de préférence une petite place à ses côtés a l’homme qui ne peut pas l’éclipser, à l’imbécile dont le voisinage, encore qu’il puisse être fâcheux, ne saurait du moins être inquiétant ? Un homme sans valeur occupe une place, mais il ne la remplit pas, et, tandis que la place d’un homme nul n’est que la place de quelque chose, celle d’un homme d’esprit est tout de suite la place de quelqu’un. Quand on s’expose à coudoyer un homme supérieur, c’est avec lui qu’il faut compter et non avec sa fonction seulement.

Convenons aussi qu’il se dit journellement autour d’un comptoir, dans le bureau d’un négociant, dans l’étude d’un tabellion, autour de la toque de quelques avoués, derrière la grille d’un agent de change, dans le sein d’un certain nombre de familles, partout enfin où l’intérêt est en jeu, une foule de sottises accréditées par l’usage, tolérées par la loi, nécessitées par le besoin, exigées par la niaiserie, la vulgarité ou la duplicité du public avec lequel on est en rapport, et que toutes ces choses-là, il n’y aurait aucune sûreté à charger un homme d’esprit de les dire. Elles sortiraient moins ingénument d’une conscience et d’une bouche qui sauraient ce qu’agir et parler veulent dire, que de la conscience et de la bouche d’un pauvre diable qui met candidement toutes les obéissances passives au nombre des vertus et qui a trouvé sans réplique qu’il n’y eut de défendu que ce qui n’est pas profitable.

Qui n’a pas entendu dix fois dans le monde parisien des dialogues comme celui-ci :

« Vous connaissez Francis ?

— Un garçon d’esprit, ma foi.

— Eh bien, il est notaire !

— Notaire ! pas possible ! Qui est-ce qui lui a confié une étude ?

— Que voulez-vous, mon cher ? on ose tout aujourd’hui ! »

Ou cet autre :

« Y a-t-il longtemps que vous n’avez vu Paul de C*** ? Vous savez, celui qui a publié, l’an passé, une relation de son voyage en Chine, un