Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 3.djvu/37

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
UN RUSSE ET SON AMANTE.
FABLE.

Un Russe, riche en fourrures, aimait une fois une actrice du Théâtre-Français. Sur ce terrain les nationalités sont sans rancune ; elles s’embrassent même. Ce Russe aimait donc cette actrice. On le voyait tous les soirs à l’orchestre applaudir son adorée. On le vit constamment à cette place pendant les trois mois qu’elle joua un rôle d’homme dans je ne sais plus quel drame infiniment spirituel. Qu’il devait être heureux ! La jeune actrice était vraiment charmante en culotte de satin, en bas de soie, en justaucorps pincé, avec ses moustaches et ses regards de velours bleu en amande.

Vous croyez qu’il était heureux ?

Un jour, il quitte brusquement l’orchestre, la France, et laisse ces mots à son adorée :

« Mademoiselle,

On m’avait dit en Russie que vous étiez la femme de Paris, par conséquent de l’univers, qui saviez le mieux et le plus élégamment vous habiller. Personne, me disait-on, ne se drape comme vous dans un châle, personne ne pose plus adorablement son pied sur le pavé, aucune femme n’est aussi gracieuse dans une robe de satin.

J’arrive à Paris, je me présente, vous m’accueillez. Votre porte m’est toujours ouverte, mais excepté le jour. Vos travaux, vos études commandent cette exception. Je ne puis donc vous voir que le soir et après le soir. Mais, depuis trois mois, tous les soirs vous êtes en homme, et après le soir vous n’êtes en rien du tout, comme, du reste, tout le monde.

Je pars donc, mademoiselle, sans avoir pu vous voir dans le costume de votre sexe, sous lequel on m’avait dit en Russie que vous étiez si ravissante ; et c’est pour cela que je pars. »

moralité de la fable.

Aucune. Je ne lui en trouve pas.