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dissentiment de cette nature, — notre ménagerie, notre muséum et nos serres du Jardin des Plantes, par exemple.

« Je ne vous entretiendrai pas de nos liaisons avec quelques-uns des animaux que renfermait notre ménagerie, ni de l’intérêt que nous portions à la santé chancelante de la girafe ou à la grossesse d’une ourse noire.

« Nous applaudîmes de grand cœur lorsqu’on nous construisit le fameux palais des singes, et cela ne fut pas sans quelque influence sur notre manière de voir à l’endroit du ministre qui présidait alors le conseil.

« Quand on fit tant de bruit du paulownia imperialis, qui, semblable aux enfants trop spirituels, finit en grandissant par n’être qu’un catalpa, nous le connaissions depuis longtemps, et nous l’avions vu fleurir dans notre jardin des Plantes, lorsque personne en Europe ne savait encore son existence. On nous pardonnera d’avoir été un peu trop fiers de notre paulownia qui, après tout, est un arbre d’une admirable végétation tant qu’il est jeune, et conserve pour sa décrépitude l’honneur d’être encore semblable à l’un de nos plus beaux arbres de pleine terre.

« Nous vivions ainsi depuis dix ans, lorsqu’un jour mon ami ne vint pas à un rendez-vous que je lui avais assigné dans mon allée de l’Observatoire. C’était la première fois qu’un de nous deux manquait à un rendez-vous, si ce n’est que, cinq ans auparavant, je le laissai m’attendre à sa petite Provence, parce que je m’étais quasiment donné une entorse dans mon escalier. Je ne pus attribuer son absence qu’à un accident de ce genre ou peut-être pis encore, et je me rendis chez lui. Je le trouvai en bonne santé, mais singulièrement ému. Il avait reçu le matin une lettre qui lui apprenait qu’un sien cousin venait de mourir à deux lieues de Paris, en lui laissant un peu plus de trois mille livres de rentes.

« Il m’embrassa avec effusion, et m’assura que la fortune n’aurait pas le pouvoir de le changer à l’égard de ses amis ; que je le trouverais toujours le même, etc.

« Toujours est-il, cependant, qu’il lui fallut partir pour se faire mettre en possession. — Il y a de cela quatre mois, et je n’avais plus eu de ses nouvelles. Déjà je ne pensais plus à lui qu’avec une sorte d’amertume, — et la loueuse de journaux des Tuileries m’ayant demandé de ses nouvelles, j’avais répondu avec aigreur : « Je ne sais… Il a fait fortune, je ne le vois plus. »

« Lorsque, avant-hier, j’ai reçu une lettre de lui.

« Cette lettre, la voici :