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faite, insolvable envers son génie ; quand il comprit que, n’ayant jamais pleuré que lui-même et ses rêves, toutes ses larmes cependant étaient versées ; quand il découvrit avec effroi que nul ne revit en soi seul, et que, comme son cœur, ses bras même étaient vides, il ne songea plus qu’à user une vie dont l’emploi lui manquait.

Qu’elle dut être poignante sa peine quand, dans les dernières années de son silence, mourant lentement et comme volontairement, victime des amours inféconds auxquels il s’était sacrifié, — quand, par-dessus le fracas même d’une révolution, des bruits arrivèrent à ses oreilles qui lui révélèrent que ses aînés étaient restés plus jeunes que lui, et qu’un poëte pouvait avoir de grandes choses à dire qui ne fussent pas ses seules amours ! Quel dut être plus cruel encore son étonnement lorsque, après celle de Lamartine, devenu pour une heure suprême chef d’État, la voix de Victor Hugo exilé vint lui prouver que pour qui a famille et patrie il reste d’autres deuils à chanter que ceux des songes évanouis !

Cependant croyez-vous qu’il raillât, lui l’artiste silencieux, les voix qui chantaient encore alors qu’il ne pouvait plus que se taire ? Non. N’ayant plus à s’écouter lui-même, il prêtait plus volontiers l’oreille aux accents nouveaux. Les élèves n’ont pas tous l’équité du maître. Il peut être bon de redire quelques mots tombés çà et là de ses lèvres qui pourront faire échec à de juvéniles injustices. On lui apprenait un jour qu’un jeune écrivain semblait marcher avec succès à sa suite, mais que ce n’était pas ça. « Comment le nomme-t-on ? demanda-t-il.

— Le Musset des familles.

— Ce ne serait pas une injure, dit lentement de Musset, si c’était mérité. »

Une autre fois on venait de jouer une pièce d’Augier. « Celui-ci, dit-il, n’a pas pris la mauvaise place, il est sur le terrain de Molière, et de force à y rester. »

Une autre fois encore, après Charlotte Corday, il descendait lentement l’escalier du Théâtre-Français avec un des anciens combattants de l’armée romantique de 1830 : « Ne laissons pas dire du mal de cela ; il y a là dedans un quatrième acte qui pourrait bien être l’œuvre d’un maître. »

Et quand il fut arrivé au péristyle, avant de quitter son interlocuteur, confirmant son jugement par une des locutions qui lui étaient le plus familières : « Oui, ajouta-t-il, d’un maître tout bonnement. »

Il ne suffit pas d’admirer en artiste l’œuvre de Musset ; c’est chose