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libertinages du siècle dernier, se sont faits, croyant sauver l’amour, les Tyrtées de la passion. Ils ont cru que tout serait bon qui pourrait raviver la flamme près de s’éteindre.

Comme des catholiques qui prétendraient ressusciter la foi par les bûchers, leurs efforts mal dirigés ont tourné contre leur but. Où ils ne voulaient que ranimer le feu, ils ont amené l’incendie.

En déclarant que la passion avait des droits supérieurs à tous autres, ils ont fait reculer l’amour, qui n’est pas plus la passion que la santé n’est la maladie, que la raison n’est la démence.

Ils ont dit : passion et amour, comme si ces deux mots pouvaient être synonymes, et ont ainsi aidé à confondre entre elles deux choses si distinctes qu’elles sont ennemies : — l’amour qui pense à l’autre, — la passion qui ne pense qu’à elle-même.

Sous l’excitation de leurs paroles embrasées, la passion, usurpant la place de l’amour, s’est bientôt emparée des sommets, et l’incendie, après avoir rougi toutes les cimes, a fini par descendre dans la plaine.

Cependant si, de proche en proche, gagnant les maisons même du pauvre et des petits, ce feu destructeur n’a finalement laissé partout que des cendres sur lesquelles pleurent aujourd’hui dans l’ombre des milliers de fantômes attristés, l’œuvre de la passion n’est-elle pas condamnée ?

Si, à l’heure qu’il est, les cœurs déçus s’en prennent à l’amour même des promesses mal remplies de la passion, la faute en est-elle à l’amour ? Si, par une réaction déplorable, nous sommes tout près de retomber dans l’abîme dont un effort plus généreux qu’éclairé avait voulu nous tirer, si la France est en péril de revoir une seconde régence, une régence bourgeoise de l’amour, est-ce bien l’amour qui a tort ?

J’affirme que non.

Remettre les cœurs dans le vrai chemin, montrer aux esprits égarés que le bonheur n’est point où ils le cherchent, qu’il n’est pas inaccessible, qu’il est à la portée des plus humbles, qu’il n’est pas compliqué, qu’il est simple de sa nature, qu’il n’a jamais été dans les choses mauvaises, que, pour le mériter, il suffit de n’aimer que ce qui est pour de bon digne d’être aimé, que ce qu’on a le droit et le devoir d’aimer ; leur faire comprendre que la passion n’est pas plus l’amour que la violence n’est la force, que la fin de toute passion est une satisfaction égoïste et personnelle, tandis que la fin du plus léger battement d’un cœur amoureux est une pensée de dévouement ; que l’amour est le double respect de soi-même et de l’être qu’on aime, et que la passion n’en est que