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« Certainement ! » Et je l’ai laissé enchanté.

Dimanche je serai sur la route de mon village, et le messager, assis sur le devant de sa carriole, fera claquer son fouet en me disant les nouvelles du pays.

Mon premier soin en me réveillant a été de faire un petit paquet de toutes mes hardes ; je veux, que le messager me trouve prête quand il viendra me chercher. Puis je suis partie pour remplir ma journée ; mais la filature était fermée, les ouvriers stationnaient en foule devant la porte. On murmurait les mots de crise commerciale, de cessation de travaux. Une résignation stupide, mêlée à une consternation profonde, régnait sur tous les visages. Trois cents malheureux étaient là sur le pavé sans savoir où gagner le pain du jour.

Marie s’était assise par terre, cachant son front entre ses mains. Je m’approchai, elle releva la tête.

« Tu le vois, me dit-elle tristement, nous sommes sans ouvrage. Je suis habituée à ce malheur ; mais toi, que vas-tu devenir ? Tu commenceras aujourd’hui ta lutte contre la misère ; pauvre enfant, que je te plains !

— Rassurez-vous, lui répondis-je, je retourne dimanche au village. Mais vous ? »

Elle se mit à sourire amèrement.

« Moi, je demanderai l’aumône et l’on me mettra en prison ; au moins je trouverai de quoi vivre sans me souiller comme tant d’autres. En échappant à la misère, tu échappes aussi à la honte. Bénis deux fois le ciel. »

En ce moment, j’entendis une cloche. C’était la messe qui sonnait à l’église voisine ; j’y entrai, et, me mettant à genoux, je fis mentalement cette prière :

« Soyez clément, mon Dieu, pour la pauvre Marie, et pour toutes celles qui ont péché comme elle. Sa faute fut peut-être devenue la mienne ; je vous remercie de m’avoir inspiré le désir de partir. Cette semaine comptera dans mon existence ; je ne m’en souviendrai que pour vous bénir et pour vous prier sans cesse en faveur des infortunées qui n’ont pu se soustraire à la tentation. »

Le contre-maître m’attendait à la porte de la maison. Je ne sais si le souvenir de Marie en était cause, mais je trouvai sur sa physionomie un air de fausseté repoussante. Il me dit d’une voix caressante :

« Ne vous effrayez pas de la nouvelle que vous avez apprise ce