Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 3.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

à dîner tous les jours au Rocher, à vous amuser tous les soirs au théâtre, à courir le bal toute la nuit ? De bonne foi, à ce jeu impitoyable de toutes les heures, votre vie entière se fût perdue, votre jeunesse s’évanouissait déjà ! Donc bénissez la main prévoyante qui vous arrête dans ces prodigalités insensées ; votre père lui-même, vous voyant sur cette pente glissante, n’eût pas mieux fait que de vous condamner à quelques mois de diète, de patience, de sagesse et de repos.

Les joyeux captifs ! ne les plaignez pas, ils n’ont besoin ni de vos consolations ni de votre pitié. Laissez la fantaisie les entourer de ses prévenances, laissez l’imagination changer ces cellules en boudoirs. La plupart du temps l’amitié s’arrête sur ce seuil si peu terrible ; l’amour, au contraire, qui aime les obstacles, franchit soudain ces barreaux et ces grilles ; voyez-les passer, légères comme les Grâces d’Horace au clair de la lune de mai, ces pauvres anges de la rue du Helder. Tendres cœurs ! sensibles cœurs ! elles ont ruiné, et ruiné sans remords comme sans prévoyance, ces victimes innocentes de la dette ; mais à présent que le jeune homme est en prison, les voilà qui lui reviennent plus belles que jamais et plus empressées, l’œil brillant, le sourire à la lèvre, en robe modeste, bien chaussées, bien gantées ! Soudain chacun fait place à cette beauté qui passe ; on les traite comme des sœurs de charité qui vont visiter le grenier du pauvre. — Est-elle assez jolie ? Elle remplit l’espace des odeurs de sa chevelure, le silence, du craquement de son soulier, la longue galerie, du feu de son regard. — Où va-t-elle ? — Elle va… là ! dans cette cellule mystérieuse. — Le prisonnier la reconnaît à son pas, à son souffle, pendant que la foule des curieux s’éloigne, sur la pointe des pieds, de ce cachot plein de bonheur. — Honnête et hospitalière maison !

Mais, hélas ! ces dettes de la jeunesse sitôt faites, sitôt payées, ne sont pas seules à habiter ce Clichy de la joie et des amours. À côté de ces classes qui chantent, tel homme est là, non pas en expiation de ses folies, mais en récompense d’un rude, austère et obstiné travail. Il a lutté cruellement, il a été vaincu dans la lutte. À cette heure, il lui faut donner cinq ans de sa vie et de sa liberté pour satisfaire les rois de l’industrie et du commerce. Ah ! si ce malheureux pouvait, en échange de sa liberté, donner une once de sa chair ! — Il en offrirait une livre que sa prison ne s’ouvrirait pas. Celui-là, il faut le traiter avec respect : il est malheureux ; il a laissé dans sa pauvre maison une femme, des enfants, quelquefois un vieux père, et le voilà séparé de ces êtres si chers,