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J’étais un Turc bien malheureux ! Je me faisais l’effet d’un arbre isolé au milieu d’un tourbillon. Je m’effaçais de mon mieux, mais je ne pouvais pourtant pas m’asseoir sur les genoux du piston, qui paraissait un méchant homme, avec sa joue gonflée, ses cheveux coupés en brosse et sa cravate tordue. Par intervalles, il lançait sur la musique un œil de flamme, ce musicien, et de plus belle il resoufflait dans son appareil.

La danse cessa et, tandis que les danseurs reconduisaient leurs danseuses et que celles-ci, assaillies par de nouveaux venus pliés en deux et se balançant sur une jambe, écrivaient avec précipitation sur leurs tablettes, en approchant de leurs lèvres humides un petit crayon, je profitai de l’occasion, je me faufilai et j’arrivai bientôt au bout de la grande galerie. Un cavalier espagnol d’une taille démesurée bouscula de son épaule mon turban, qui me tomba sur les yeux.

Je venais de mettre ma coiffure à sa place, lorsque je me sentis frôler la main, et j’aperçus à mes côtés une adorable esclave grecque, court vêtue, couverte de sequins ; de longues chaînes d’or réunissaient ses bracelets à sa ceinture.

« Paul, me dit-elle d’une voix craintive et vibrante d’émotion, merci pour le vôtre… voici le mien. »

Et je sentis qu’elle me glissait dans la main quelque chose de plat.

J’allais lui dire :

« Belle esclave, vous vous trompez ; je ne m’appelle pas Paul, je suis… »

Mais elle me pressa le bout des doigts de sa petite main, fit chut ! avec un air de mystère, ses yeux brillaient délicieusement sous son masque ; il me sembla qu’elle souriait, et elle s’éloigna avec précipitation.

Je restai là fort intrigué. Il me sembla qu’on regardait, et je n’osais point voir ce que contenait le petit paquet. Je cherchai une poche pour l’y mettre à l’abri ; je fouillai, je tâtai… pas une poche dans ce maudit costume. Je poussai donc le petit objet sous mon gant, et je pris à la volée une tasse de café glacé qui passait sur un plateau.

Je n’avais fait qu’apercevoir la jeune esclave grecque, mais elle m’avait paru charmante. Il me semblait entendre encore le bruit des chaînettes d’or, je voyais les deux bracelets qui lui ornaient le haut des bras, et tout au bas de sa jambe ronde et cambrée les anneaux brillants,