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corsaires du Rhône. Ces forbans, venus de la Méditerranée, avaient pu remonter jusqu’à Beaucaire et avaient enlevé toutes les vierges de la ville pour le service du pacha de Négrepont.

C’était à l’époque des Orientales, Paris fut épouvanté. Le ministre de l’intérieur écrivit à Nîmes ; il réprimanda le préfet, qui écrivit à son tour au procureur du roi de Tarascon, lui demandant ce qu’il faisait en présence de tels événements. Ce dernier se transporta sur les lieux en traversant le Rhône, apprit la fausseté de la nouvelle et répondit que jamais corsaires n’avaient osé enlever des vierges à Beaucaire, et même qu’on doutait qu’il y en eût. — Le préfet se hâta de rassurer Paris, qui ne s’en tint pas plus en garde sur les nouvelles du Sémaphore.

C’est à Méry qu’il faut entendre raconter l’histoire du duel de Mas-crédati et de Buffi, deux illustres savants italiens, qui sont maintenant dans toutes les biographies, — et n’ont jamais existé, et celle de l’orpheline Juliah, qui, il y a quelques mois, tint Paris en haleine et l’univers en émoi !

Dans cet immense hoax méridional toute une province fut complice de son journal favori. Les Marseillais de Paris s’entendaient pour nous mystifier, les autres écrivaient lettres sur lettres pour ajouter à notre anxiété.

On sait qu’il avait été constaté à Marseille, par un congrès de savants, que Juliah ne parlait aucune langue connue.

Mais voici où Paris reconquit sa supériorité :

« Vous dites, fut-il répondu aux descendants des Phocéens, que Juliah ne parle aucune langue connue à Marseille ?… Mais peut-être est-ce simplement qu’elle parle le français. »

Le Sémaphore n’a point répliqué.

Au fond, si quelquefois le canard naît dans la province, reconnaissons qu’il ne peut exister qu’à Paris ; c’est de là qu’il part, c’est là qu’il revient sous une forme nouvelle, après avoir fait le tour du monde. Mais ce qui est étrange, c’est que le canard, fruit de l’accouplement du paradoxe et de la fantaisie, finit toujours par se trouver vrai. — Schiller a écrit que Colomb ayant rêvé l’Amérique, Dieu avait fait sortir des eaux cette terre nouvelle, afin que le génie ne fût point convaincu de mensonge ! — Tout génie à part, on peut dire que l’homme n’invente rien qui ne se soit produit ou ne se produise dans un temps donné.

Un journal avait imaginé une petite fille qui portait inscrite autour de ses prunelles cette légende : « Napoléon, empereur. » Trois ans après, l’enfant était visible sur le boulevard : nous l’avons vue.