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« Dis donc, de B…, viens donc ! — Alfred, mon chien, j’ai quelque chose à te dire ! — Voyons, ne fait donc pas la bergère, Alfred ! — De B… ! Alfred ! Eh ! là-bas !… psst… »

Et l’on ne dira pas que ce soit calcul ou intérêt qui attire ces demoiselles. Elles aiment le petit de B… tout simplement parce qu’il est leur ami ; il est dans leur intimité, connaît leurs petites affaires et y prend intérêt ; il est au milieu des cancans, des bavardages, des potins de tous ces petits anges, comme le poisson dans l’eau, souriant en se faisant les ongles, lâchant de temps en temps le conseil toujours bienveillant de l’homme qui s’en fiche ; mais tout en bâillant à deux battants pour conserver sa dignité, il s’amuse beaucoup et prend un vif intérêt à tout cela. Il fait ses visites après son déjeuner, vers une heure et demie, et, tout naturellement, on le reçoit dans le cabinet de toilette où madame achève de s’habiller. La pièce est douillette, parfumée, on y est entre hommes, dans la coulisse pour ainsi dire, et l’on y bavarde tranquillement au milieu d’un luxe épicé qui ne coûte rien et aide à la digestion. C’est dans ce boudoir que le coiffeur de la petite Chose est devenu le sien et qu’il a eu l’idée charmante de porter ses cheveux frisés en boule, sans raie ni séparation. C’est là qu’il a fait connaissance des seuls savons dont un homme élégant puisse se servir, et aussi d’une foule de liqueurs et de pâtes qui, véritablement, donnent à la peau du velouté. C’est là, dans cet endroit béni, qu’un beau jour, en riant comme un fou, il se laissa étaler sur la face une toute petite couche discrète de blanc nymphéa et que, riant toujours de plus en plus, il risqua une pointe de pencil japonais, au coin de l’œil… un rien. Mais cela lui donna si bonne mine qu’il a conservé l’usage du pencil japonais et du blanc nymphéa pour sa toilette du soir.

Je dis toilette du soir, mais il trouve moyen d’en faire bien d’autres en dépit des occupations dont sa journée est pleine comme un œuf.

Vers midi et demi, le petit de B… se réveille à peu près, bâille un instant et sonne son valet de chambre qui fait le jour chez lui. Quelques minutes après il passe dans la pièce voisine où son bain l’attend. C’est, étalé dans cette onde pure et parfumée, qu’il ouvre ses lettres, fume une cigarette, lime ses ongles en chantonnant, gourmande son bottier ou discute avec son tailleur.

Il se lève bientôt, présente au peignoir sa peau trop blanche, son petit dos voûté, et, quelques instants après, chaussé, entortillé dans sa robe de chambre, il se met à table. Sa cuisinière est bonne ; c’est une