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d’Irlande, sur le bord desquels sa chair faisait l’effet d’un bourrelet de soie noire à jour.

Nous étions sérieux comme deux auteurs dont la collaboration n’obtient pas tout le succès qu’elle mérite.

« Madame, lui dis-je en lui montrant une paire de pantoufles de femme, voici qui vient de l’impératrice Joséphine. »

Il fallait bien rendre à madame Nourrisson la monnaie de sa princesse de Lamballe.

« Ça ?… fit-elle ; c’est fait de cette année : voyez cette marque en dessous.

— Ne devinez-vous pas que ces pantoufles sont une préface, répondis-je, quoiqu’elles soient ordinairement une conclusion de roman ? Mon ami que voici, dans un immense intérêt de famille, voudrait savoir si une jeune personne, d’une bonne, d’une riche maison, et qu’il désire épouser, a fait une faute.

— Combien monsieur donnera-t-il ? demanda-t-elle en regardant mon complice.

— Cent francs.

— Merci, dit-elle en grimaçant un refus à désespérer un macaque, plus que ça de gages pour nos petites infamies ?

— Que voulez-vous donc, ma petite madame Nourrisson ? lui demandai-je.

— D’abord, mes chers messieurs, depuis que je travaille je n’ai jamais vu personne, ni homme ni femme, marchandant le bonheur. Et puis, tenez, vous êtes deux farceurs, » reprit-elle avec un sourire sur ses lèvres froides et avec un regard glacé par une défiance de chatte.

La familiarité la plus déshonorante est le premier impôt que ces sortes de femmes prélèvent sur les passions effrénées ou sur les misères qui se confient à elles. Elles ne s’élèvent jamais à la hauteur du client, elles le font asseoir côte à côte auprès d’elles sur leur tas de boue.

« S’il ne s’agit pas de votre bonheur, il est question de votre fortune, reprit-elle ; et, à la hauteur où vous êtes logés, l’on marchande encore moins une dot. Voyons, dit-elle en prenant un air doucereux, de quoi s’agit-il ?

— De la maison Névion, répondit mon ami, bien aise de savoir à quoi s’en tenir sur une personne qui l’intéressait.