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Pourquoi les cafés ferment la nuit. — J’ai demande à plusieurs personnes en mesure de me répondre pourquoi les limonadiers du boulevard n’avaient pas le droit de tenir leurs maisons ouvertes toute la nuit ; il m’a été impossible d’obtenir satisfaction sur ce point. Les uns m’ont objecté que la sécurité publique pourrait en souffrir, ce qui n’a aucun sens, puisque si une attaque nocturne est à craindre, c’est surtout quand les lumières sont éteintes et non quand elles sont allumées.

D’autres ont prétendu que c’était un moyen de forcer à aller dormir certains individus qui ne se coucheraient jamais sans cette précaution. Ce motif serait dérisoire, attendu que si, après avoir trop dîné, il me convient de prendre du thé, au grand air, jusqu’à trois heures de la nuit, c’est mon affaire et non celle du gouvernement, qui a mission d’ouvrir les chambres et de déclarer la guerre, mais non de veiller à ce que je dorme exactement douze heures sur vingt-quatre. À Londres, les cafés ne ferment jamais et la santé publique n’en est pas affectée sensiblement, puisque lord Palmerston vient d’entrer dans sa quatre-vingt-septième année. Reste la morale qui pourrait s’en ressentir, mais en braquant une longue-vue sur les côtes d’Angleterre, on s’aperçoit facilement que les habitants du Royaume-Uni, où les cafés restent continuellement ouverts, sont infiniment moins vantards, moins jocrisses, moins menteurs et moins friands de décorations étrangères que nous autres Français dont les cafés ferment à une heure au plus tard.

Le duel. — Un vieux professeur du collège Saint-Louis, prévoyant le grand avenir qui m’était réservé, m’a un jour résumé en ces termes la politique de tous les âges, de tous les pays, et de tous les gouvernements : « En 1806, j’ai été en prison trois mois pour avoir dit dans un café que le duc d’Enghien avait été assassiné. En 1817, j’ai été en prison trois autres mois pour avoir dit dans le même café que le duc d’Enghien avait été condamné légalement. »

En France, la question du duel est soumise à peu près aux mêmes fluctuations et traitée par des procédés non moins fantaisistes. Quand ce sont deux journalistes qui en viennent aux mains, on les cite en police correctionnelle, où je n’ai pas besoin d’ajouter, n’est-ce pas ? que le vainqueur et les témoins ne sont jamais renvoyés absous. Quand ce sont deux militaires, non-seulement on se garde de les inquiéter après le combat, mais on offre aux deux adversaires, comme dans le duel de