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livrant à la risée publique. Il est probable qu’aujourd’hui encore il cherche ce qu’il a bien pu faire dans sa vie pour motiver cette vengeance de la part du jeune et célèbre écrivain. La seule idée qui ne lui soit pas venue et qui seule aurait dû lui venir, c’est que Sardou n’a donné le nom fantaisiste de Benoîton aux personnages de sa pièce que parce qu’il ignorait qu’il fût porté par quelqu’un.

Ce n’est, du reste, ni la première, ni la seconde, ni la vingtième fois que ces malentendus se produisent. Le besoin de célébrité que tout homme nourrit en soi comme un numéro à la roulette, vous fait prendre volontiers pour une personnalité préméditée ce qui n’est au fond que le plus vulgaire des hasards. Le monsieur dont le nom se trouve innocemment prononcé dans une pièce aime infiniment mieux se dire ;

« L’auteur est jaloux de ma gloire naissante, et il cherche à l’étouffer sous le ridicule, » que de se faire à lui-même cette confession humiliante :

« Mon nom est tellement inconnu que les vaudevillistes qui s’en emparent sont persuadés qu’ils l’ont inventé. »

J’ai eu avec mon ami Adolphe Choler un petit acte où nous avions introduit un personnage du nom de Baliveau. Vous auriez cru, comme nous, n’est-il pas vrai ? que si un nom appartenait au domaine public, c’était celui de Baliveau. Nous n’en reçûmes pas moins un soir, au foyer du théâtre, la visite d’un M. Baliveau, de Villeneuve-Saint-Georges, qui était venu exprès à Paris nous demander en quoi il nous avait offensés, Choler et moi, pour que nous attachions cette casserole au pan de sa redingote jusqu’alors immaculée.

Cet infortuné s’étiolait en investigations fantastiques dans le but de réparer autant que possible les torts involontaires qu’il croyait avoir envers nous.

« J’ai pensé d’abord, nous répétait-il, qu’un de vous deux avait fait le voyage de Villeneuve-Saint-Georges dans le même compartiment que moi, et, comme je m’enrhume très-facilement, j’aurai refusé d’ouvrir le vasistas. J’ai eu tort, c’est vrai, mais il m’est impossible de rester entre deux airs. »

En vain nous lui répondions :

« Sur notre honneur, monsieur Baliveau, nous n’avons jamais eu l’intention de vous être désagréables. Nous cherchions un nom majestueux, le vôtre cadrait avec nos idées, nous l’avons pris. Mais nous ignorions absolument que Villeneuve-Saint-Georges renfermât le plus petit Baliveau. La preuve que toutes nos sympathies vous sont acquises,