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butes imaginables. Quant à la cage aux jaguars, ils la feraient soigneusement verrouiller d’abord en dedans, puis en dehors, et ils enverraient contenant et contenu au Jardin des Plantes, avec cette pancarte :

donné par la société des philosophes réunis.

Cette répulsion vague qu’éprouve tout homme bien élevé à introduire sa tête dans la gueule d’une bête féroce explique le succès de curiosité qui accueille généralement les belluaires comme celui que le cirque Dejean vient de nous présenter. Je ne l’ai pas encore vu travailler, mais plusieurs personnes m’ont assuré qu’il faisait des choses extraordinaires. Cette expression appliquée à un dompteur m’a fort intrigué. La seule chose extraordinaire que puisse faire un éleveur de cette nature, c’est d’être mangé par ses lions. Il y aurait encore un autre élément de succès : ce serait que les lions fussent mangés par le dompteur. En dehors de ces deux résultats, le niveau de l’art dans cette position scabreuse est extrêmement difficile à maintenir. En effet, lorsqu’au bout d’un certain nombre de représentations l’apprivoiseur n’a pas eu un biceps dévoré ou un gras de jambe mâchonné par ses carnivores, le public commence à se demander si les panthères ne sont pas d’anciennes descentes de lit dont on a enlevé la bordure rouge et qu’on a rembourrées avec de l’étoupe. Il se demande par contre-coup si les lions ne portent pas de fausses crinières, quelque chose comme des cache-folie ou de vieux cache-peignes provenant de la vente de Mlle  Gambillarde.

D’autre part, quand le roi des animaux, dans un accès de fièvre chaude, déshabille d’un coup de griffe son cornac jusqu’à l’os et lui change subitement sa profession de dompteur en celle d’écorché, les dames poussent des cris de Mélusine et s’indignent que la Préfecture de police autorise ces odieux spectacles. Le dernier mot du domptage consisterait à obtenir d’un lion qu’il se révoltât tous les samedis et qu’il ouvrît à un moment donné ses mâchoires formidables comme pour engloutir son maître. Celui-ci feindrait d’être très-effrayé, et, après cinq minutes (cinq siècles !) d’une lutte simulée, il finirait par réduire à l’impuissance l’animal repentant, qui lui demanderait grâce en lui promettant désormais obéissance et soumission.

Malheureusement, comme je le disais très-bien plus haut, le lion est le roi des animaux, et comme tous les rois, surtout ceux d’aujourd’hui, il est capricieux, sanguinaire et menteur. Le jour où son cuisinier ordi-