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Et le squelette de la baleine ! et.. ; et tous les souvenirs merveilleux de l’enfance, qu’on retrouve au détour de chaque allée ! — Rien n’est changé ; tout en marchant le passé s’anime, et sur le sable je crois retrouver la trace des petits petons que j’avais en ce temps-là. Voilà pourquoi j’aime le Jardin des Plantes, c’est que je le vois encore avec mes yeux d’enfant, que je me rappelle mes terreurs devant les bêtes féroces, mes stations devant le paon qui ne voulait pas faire la roue, mon amitié pour l’éléphant, quoique sa trompe me fît un peu peur lorsqu’elle s’approchait de mon visage et que j’apercevais l’intérieur rose et humide de ces deux trous qui semblaient me regarder.

Mais je l’aimais bien parce qu’il était fort et qu’il paraissait bon. Son petit œil me fixait, je le croyais du moins, j’étais sûr qu’il lisait dans mon regard l’affection que j’avais pour lui. Seulement je le trouvais un peu sale, et, je me le rappelle parfaitement, j’en étais blessé. « Il ne se lave pas, me disais-je, et pourtant il a de l’eau ! » Cela me choquait.

J’ai revu tout cela ce matin, j’ai arpenté le jardin dans tous les sens, allant à la recherche de mes impressions. Eh bien, je suis enchanté ! Vive la joie ! je suis jeune encore, car j’ai été ému comme un enfant ! Je me suis rappelé et j’ai été voir la grande horloge dont on aperçoit le mouvement et le balancier à travers une glace. C’était là, sous cette horloge, que nous nous arrêtions lorsque nous étions en promenade. Aux heures, aux quarts et aux demies, tous les regards se tournaient du côté de la grosse machine qu’on voyait s’agiter. Il y avait des ailes qui remuaient, des contre-poids qui descendaient, et toute une confusion de roues, de volants, de tiges s’agitant avec un bruit particulier ; puis on entendait des grincements ; on voyait le marteau s’élever lentement, retomber sur la cloche, et l’heure sonnait pure, vibrante, et à mesure que le son diminuait d’intensité on saisissait les vibrations qu’on aurait presque comptées. Cette impression me rappelait celle qu’on éprouve à la vue de ces vagues circulaires qui se produisent dans l’eau lorsqu’on y jette une pierre. À mesure que ces cercles s’élargissent et s’éloignent de leur point de départ, ils deviennent plus lents, plus confus, mais plus saisissables au regard.

C’est au milieu de tous ces bons vieux souvenirs que mon temps de collège m’est revenu en tête, et je me suis assis tout exprès pour penser à toi, cher ami, qui te rappelles l’ami Z. et lui envoies de l’autre bout du monde une si cordiale poignée de main. Est-ce étrange, dis-moi : avoir jeté ensemble des pains de seigle à l’ours Martin et se retrouver un beau