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la grande ville naquît, pour qu’elle devînt ce qu’elle est aujourd’hui, des frayeurs d’un pauvre Gaulois qui vint chercher un abri dans l’île de la Cité, ou du caprice d’un roitelet barbare qui s’avisa d’y établir son rustique palais ? Quels événements ont disposé ce sol, élevé ces collines, fait couler ce fleuve, entassé ces mines inépuisables de chaux, de grès, de sable, d’argile, berceau matériel de Paris ? Si les traces presque effacées de l’origine de notre nation excitent en nous tant d’intérêt, quel charme n’y aurait-il pas à chercher, dans les ténèbres de l’enfance de la terre, les traces des révolutions qui ont préparé l’existence de Paris, révolutions autrement terribles que nos tempêtes dans une goutte d’eau, qui cent fois ont changé la surface du globe et enseveli dans ses entrailles des millions d’êtres dont les races mêmes n’existent plus, révolutions dont nous foulons aux pieds, tous les jours, les mystérieux témoignages ? Le génie de Cuvier l’a essayé : descendons, à sa lumière, dans les terrains sur lesquels s’élève Paris en nous enfonçant dans l’abîme des temps, nous trouverons peut-être l’explication physique des destinées de cette ville providentielle ; nous trouverons peut-être dans les calamités des âges qui ont précédé l’apparition de l’homme sur la terre le présage des félicités dont nous jouissons dans notre âge d’or, en l’an de grâce où nous avons le bonheur de vivre nous trouverons peut-être dans les habitudes des êtres qui sont venus avant nous les preuves que toutes les grandes choses que nous avons faites (y compris le système représentatif) ont été préparées de toute éternité dans les arcanes de la création, et qu’il n’a pas fallu moins de cinquante déluges, moins de quelques milliards d’années pour faire éclore de telles merveilles. Notre sol, avant de devenir le centre de la civilisation, la patrie des arts, le paradis des journalistes et des chanteurs, a dû subir de continuelles transformations ; il n’est, pour ainsi dire, formé que des débris d’une infinité de créatures qui sont venues là, comme nous, vivre, souffrir et mourir ; les pierres de nos édifices, les marbres de nos salons, les vases même de nos festins, ne nous ont été donnés qu’au prix de tortures qui resteront à jamais inconnues. Pour qu’il nous fût possible de danser dans ces palais, de nous pavaner dans ces promenades, d’intriguer ici, de ramper là, que de bouleversements a subis notre sol, que de ruines, quelle perpétuelle destruction ! Le moindre progrès a été payé par des milliers de morts, et notre planète, avant de pousser cet immense, cet universel cri de joie qu’on entend aujourd’hui, n’a exhalé, depuis son origine, qu’un long cri de douleur.