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ce titre se rouilleraient à un clou ; quand ces têtes à l’envers seraient forcément moins près de leur bonnet, où serait le mal ? Est-ce une des gloires de la France que quelques-uns de ses enfants puissent s’en aller ainsi impunément en guerre au milieu de la foule paisible ?

« Hélas ! qui est-ce qui n’a pas eu dans sa vie quelque duel inepte ou coupable, et à qui pareil souvenir ne pèserait-il pas ?

« Quel galant homme oserait se plaindre d’être obligé d’y regarder à deux fois avant de tuer son semblable ? Quand, au sortir du collège, nos enfants ne pourraient pas, en voyant passer fièrement sur nos boulevards un homme boutonné jusqu’au menton, à la démarche roide, aux allures cassantes et guerrières, encore qu’il n’ait jamais servi ; quand nos enfants, dis-je, ne pourraient plus se dire tout bas, avec l’admiration irréfléchie qu’a la jeunesse pour quiconque fait état de son courage :

« Tu vois bien ce monsieur qui passe en fumant son cigare et en fredonnant un refrain d’opéra-comique, eh bien, il a tué trois hommes en « duel ; » croyez-vous qu’ils auraient une moindre opinion de la vraie vaillance ? Ayons donc le petit courage de dire haut que le duel est un mal, et que, si guérir ce mal est impossible, il est bon du moins qu’on s’efforce de l’atténuer.

« X… »

Cette boutade contre le duel, dans laquelle M. X… avait essayé de dire à tous un peu de ce que chacun se contente de se dire à l’oreille, donna lieu à une polémique qui finit par s’aigrir à ce point qu’un petit journal, prenant fait et cause pour le duel, terminait, quelques jours après, son article par ces mots : « Il paraît que l’auteur de l’article sur le duel est las de se battre. »

Et c’est ici que vient se placer tout naturellement la morale qui ressort du fait que nous racontons. X…, piqué au vif et oubliant subitement toutes les bonnes choses qu’il avait dites contre les duels futiles, provoqua le rédacteur de cette phrase malencontreuse. Il allait donc se rebattre, non pour venger sa mère, ou sa sœur, ou sa fille, ou sa femme, seuls cas par lui réservés, mais pour se venger lui-même et d’un trait qui n’aurait pas dû l’atteindre, si une circonstance singulière, tout à fait indépendante de sa volonté, n’eût arrêté l’affaire.

Il n’est peut-être pas hors de propos de dire que, si les duels ne sont pas plus fréquents, cela tient à une chose bien simple qui n’a peut-être pas été assez remarquée jusqu’ici : c’est que, pour se battre en duel,