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point de ressemblance à remarquer entre elle et la créole : on dirait que le soleil hâtif de la civilisation produit exactement les mêmes effets que le soleil trop fécond des colonies. Le fruit n’est jamais aussi doux que la fleur est belle chez la Parisienne comme chez la créole. L’enfance, la vieillesse, sont, je crois, les deux époques les plus caractéristiques de la vie d’une Parisienne. Elle a prodigieusement de l’esprit lorsque sa beauté n’est pas encore mûre ; et quand tout son esprit lui revient avec la fermeté de l’expérience et la variété des épisodes qu’elle a parcourus, elle a perdu toute sa beauté. Cela équivaudrait à dire que l’âge intermédiaire chez elle n’est pas celui où elle a le plus d’esprit, si c’est celui où elle a le plus de grâce.

une observation qui se place naturellement ici et qui prouve une grande délicatesse de gout chez les parisiennes.

Depuis un temps immémorial, il est d’usage à Paris de donner aux jeunes filles les noms portés par les héroïnes des ouvrages qui ont la vogue. Ainsi lorsque Racine fit Esther, les dames de la cour s’empressèrent d’appeler de ce nom, fort peu chrétien pourtant, la plupart des filles dont elles furent mères. De là cette prodigieuse quantité de marquises Esther de…, de comtesses Esther de…, de duchesses Esther de…, qu’on rencontre dans les mémoires du temps. Rousseau popularisa, avec sa Nouvelle Héloïse, les noms de Julie et de Claire. Au dix-huitième siècle, une première fille s’appelait Julie, la seconde Claire. Baculard-Arnauld eut la gloire de répandre, à la faveur de ses mauvais romans, qui jouirent d’une célébrité phénoménale, comme la plupart des mauvais romans, les noms de Batilde et d’Ursule. C’est à La Harpe qu’on doit toutes les Mélanie parisiennes. Mme Cottin mit les Mathilde à la mode, et M. de Chateaubriand eut le triste privilège de baptiser du nom d’Atala les filles de portiers.

Cette petite monographie des noms portés par les Parisiennes nous conduit à raconter une histoire qui s’y rattache, et qui la complétera. Je commence par prévenir qu’elle est fort courte.

courte histoire.

En parcourant, il y a quelques années, les campagnes de la Picardie, je m’arrêtai pour déjeuner dans un de ces villages où l’on ne trouve rien, pas même le village souvent, tant il est enfoui sous le chaume,