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il trop grand, que vous vous êtes efforcés de le rapetisser en le parodiant de la misérable façon que voici ? Je crois voir des arbres encore et des fleurs, mais je les touche, ils sont en toile et en carton ; j’entends des sons, mais viennent-ils de l’enfer, ou le progrès consiste-t-il pour vous à avoir enfermé les libres harmonies de l’air dans les tuyaux où soufflent si piteusement quelques-uns de vos frères épuisés ? Je ne te parle ni du bruit de vos chaises cassées, ni de ces coups de pistolet dont le but ne peut être que de réveiller vos musiciens endormis ; tu sais sans doute qu’en penser, et le laid petit homme qui invente ces tapages ne s’abuse pas non plus sur leurs mérites. Mais dis-moi si l’odeur infecte de ces becs de gaz perçant à grand’peine ces nuages de poussière te paraît avoir remplacé avec avantage les douces senteurs de la nature, et si tu t’applaudis d’avoir fait succéder ces feux malsains aux clartés célestes. »

« Ma fille, dirait Ève à son tour en s’adressant à une Rose-Pompon quelconque, j’ai cédé devant un ange déchu, c’est vrai ; mais ces rois de vos fêtes, vos messieurs Chicard et leur lignée, me rappellent ces animaux sans nom qui naissent et meurent dans l’eau croupie. On vous a dit que j’avais tout oublié, que je m’étais donnée, que je m’étais perdue, hélas ! pour une pomme, et là-dessus vous vous livrez, croyant mieux faire peut-être, pour des soupers en apparence plus complets, et ayant soupé une fois, voilà que vous soupez tous les jours, et plutôt deux fois qu’une. La pomme du péché est un fruit redoutable, mes pauvres filles, il n’y faut goûter qu’une fois, si l’on y goûte, encore vaudrait-il mieux n’y pas toucher du tout. Ces fautes si souvent répétées, où vous mèneront-elles, si ce n’est à n’avoir plus ni faim ni soif ? Gardez, gardez au moins le désir, vous qui n’avez pas su garder l’innocence. Vous riez de mon langage, et de mon costume peut-être ; vous vous étonnez que je prêche dans ce simple appareil, et vous voilà bien fières de vos pimpantes culottes de velours, de vos perruques poudrées et défrisées, de vos boutons d’argent et de vos petits souliers vernis, devant le costume un peu primitif de votre vieille grand’mère. Ne riez pas tant, mes petites, de mon temps on s’habillait moins encore que du vôtre, j’en conviens ; mais, comment vous y prenez-vous ? on était plus couvert. Ce n’est pas l’habit qui fait la pudeur, et vos riches défroques vous cachent moins que ne me cachait jadis ma pauvre feuille de figuier. »

« Oh ! trois fois vénérables grands-parents, répondrait le débardeur en s’inclinant très-bas, vous parlez mieux qu’un livre, et vos leçons sont d’or ; mais qu’en pouvons-nous faire ? Depuis vous, croyez-moi,