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la grande galerie surtout, où les femmes sont en espalier, on se regarde littéralement sous le nez. — Oh ! ma chère, cette grande galerie, quel rêve ! et quelle splendide hospitalité ! un orchestre étourdissant, logé dans la voûte à l’une des extrémités, jouait, lorsque nous sommes entrés, un quadrille de chasse, et tu n’as pas idée du spectacle qu’offrait cette foule s’agitant au milieu de toutes ces splendeurs. Je ne m’y connais pas, mais je n’aime pas beaucoup les peintures un peu tristes qui ornent la voûte de cette galerie, on les dirait faites pour une église, de sorte que lorsqu’on regarde en l’air on voudrait entendre un orgue au lieu de l’orchestre de Strauss.

La grande galerie est splendide ; mais ce qui est adorable, ce sont les innombrables salons qui suivent et précèdent la galerie. On n’y danse pas, mais on y cause, on s’y promène, l’on s’y fait voir et l’on y regarde les autres. Il y a dans les coins des petits cercles de femmes chuchotant, riant, lorgnant, confondant leurs jupes et leurs dentelles dans un délicieux fouillis. Cela ressemble au jardin des Tuileries, le costume de bal en plus et les bébés en moins. Il y avait là une petite dame un peu trop grasse, mais rien qu’un peu ; elle se remuait, se penchait vers sa voisine, se renversait dans son fauteuil doré, puis se repenchait encore, et, à chacun de ses mouvements, elle éclatait d’un rire bruyant en montrant ses trente-deux dents, tandis que toute sa poitrine tremblait comme de la gelée de pomme. Non loin de là se tenait un monsieur couvert de croix et de crachats, c’est à coup sûr le plus décoré que j’aie vu ce soir-là ; un petit cercle d’hommes pleins de prévenance l’entourait. Ce monsieur est un docteur célèbre, monsieur Ricord, qui a pour spécialité, à ce que m’a dit Paul, de soigner les maladies de poitrine. J’ai tout de suite pensé à Emma, si elle voulait le consulter. Une chose à remarquer, c’est que partout où il y a une cheminée on est sûr de trouver devant un monsieur jouant avec la chaîne de sa montre : debout, s’appuyant sur un coude, les épaules effacées et regardant devant lui. Ce monsieur semble attendre qu’on vienne le saluer. Il est frais, rose, le nez court, les lèvres minces, deux favoris blonds et légers se jouent sur ses chairs fraîches ; son front a cette calvitie officielle qui permet aux cheveux de ne point être coiffés. Il a, dans son ventre qui avance, une majesté incontestable. Il salue de son gant les amis qui passent, ou familièrement leur pose la main sur l’épaule en leur disant : « Eh bien ! mon gaillard, quoi de nouveau ? » Diplomate ou banquier, ministre ou artiste, il a le même aspect : c’est l’homme qui se fait voir et compte sur l’effet pro-