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— Nous sommes d’accord !

— Si, me nommant autrement, j’avais la naïveté de dire, comme les coquettes qui veulent savoir où elles en sont avec un homme : « Mon nez est d’un rouge inquiétant ! » en me regardant à la glace avec des minauderies de singe, tu me répondrais : « Oh ! madame, vous vous calomniez ! D’abord cela ne se voit pas, puis c’est en harmonie avec la couleur de votre teint… Nous sommes d’ailleurs tous ainsi après dîner ! » Et tu partirais de là pour me faire des compliments… Est-ce que je te dis, moi ! que tu engraisses, que tu prends des couleurs de maçon, et que j’aime les hommes pâles et maigres… »

On dit à Londres : Ne touchez pas à la hache !

En France, il faut dire : Ne touchez pas au nez de la femme…

« Et tout cela pour un peu trop de cinabre naturel ! s’écrie Adolphe. Prends-t’en au bon Dieu, qui se mêle d’étendre de la couleur plus dans un endroit que dans un autre, non à moi… qui t’aime… qui te veux parfaite et qui te crie : gare !

— Tu m’aimes trop alors, car depuis quelque temps tu t’étudies à me dire des choses désagréables, tu cherches à me dénigrer sous prétexte de me perfectionner… J’ai été trouvée parfaite, il y a cinq ans…

— Moi, je te trouve mieux que parfaite, tu es charmante !…

— Avec trop de cinabre ? »

Adolphe, qui voit sur la figure de sa femme un air hyperboréen, s’approche, se met sur une chaise à côté d’elle. Caroline, ne pouvant pas décemment s’en aller, donne un coup de côté sur sa robe comme pour opérer une séparation. Ce mouvement-là, certaines femmes l’accomplissent avec une impertinence provocante ; mais il a deux significations : c’est, en terme de whist, ou une invite au roi, ou une renonce. En ce moment Caroline renonce.

« Qu’as-tu ? dit Adolphe.

— Voulez-vous un verre d’eau et de sucre ? demande Caroline en s’occupant de votre hygiène et prenant (en charge) son rôle de servante.

— Pourquoi ?