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l’anse du panier qu’on a fait danser quand on a vécu maritalement, la maison de campagne qu’on a reçue en cadeau de noces et qu’on vend à l’heure de la retraite, les économies sordides et les rapines exercées sur le luxe, quelques bijoux, un peu de diamants, tout cela compose, vers la quarantième année, la petite fortune de la femme qui est entrée avec ordre dans le désordre, sous l’inspiration de cette idée fixe : « Je ne veux pas mourir à l’hôpital. »

Quand l’heure a sonné, quand, après une lutte obstinée, la conscience et la solitude vous disent que bien décidément on est une femme finie, on se retire avec son lingot, dans un chef-lieu d’arrondissement ; — on a une petite maison, un petit jardin et deux petits chiens. — On s’appelle Mlle  Basuche — ou quelque chose d’approchant. — Aux questions indiscrètes des voisins, on répond qu’on a fait sa fortune dans la mercerie et qu’on n’a jamais voulu se marier parce que les hommes sont trop indélicats. — Un reste d’élégance et de prétention, un peu de rouge sur les joues, qui sont pâles et flétries, et beaucoup de blanc sur le nez, qui est rouge, trahissent encore, aux yeux de l’observateur, ce culte que la femme galante conserve, jusqu’à la dernière heure, pour la peau dont elle fut si fière.

Mlle  Basuche soupire quelquefois : elle a des peines de cœur ; elle vient de lire, dans le feuilleton du journal, que l’Ambigu a donné la veille une première représentation à laquelle assistait tout Paris élégant. Du fond de sa morne retraite, la courtisane, détrônée par le temps, reconstruit en imagination l’édifice écroulé des féeries de sa jeunesse. — Elle se voit entrer dans sa loge, précédée de son bouquet et suivie de son Arthur. — Elle salue à droite et à gauche, face et de profil, toutes les illustrations contemporaines de la galanterie. — Les lorgnettes sont braquées sur elle. — Elle fait sensation, et, le lendemain, à son petit lever, sa femme de chambre lui remettra quinze propositions. — Le rêve fini, la lorette vieillie se retrouve les pieds sur sa chaufferette, en tête-à-tête avec le secrétaire de la mairie, qui a flairé les quatre mille livres de rente et qui soupire pour le bon motif.

À Paris, la destinée de certains hommes ressemble beaucoup à celle de ces femmes. — Voyez, à cheval, en voiture, au café de Paris, dans les avant-scènes, ces hommes jeunes, beaux, enviés, fêtés : — ce sont des millionnaires éphémères ; ils ont soixante mille francs de rente pendant cinq ans. — Leur père, honnête marchand, officier ministériel, bourgeois scrupuleux et timide, a mis trente ans à leur amasser trois