Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 2.djvu/121

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

viendra pas ; — le duc a dit catégoriquement qu’il s’abstiendrait pour ne pas rencontrer des gens antipathiques. À l’hôtel, madame trouve tous les gens réunis à l’antichambre, dans l’attitude de Vatel, attendant la marée de Louis XIV ; — c’est le chapitre des incidents ; — tout périclite : le groom, sans expérience, a versé le broc à l’huile sur le meuble Louis XV. — Les artistes engagés pour le concert sont tous enroués ; — la fête est en faillite. Il faut de l’énergie et de la volonté pour remonter cette machine qui se détraque. — Au milieu de ces soucis, l’heure avance ; la maîtresse de la maison dîne au coin du feu ; — triste dîner, vingt fois interrompu par les obsessions des gens de service et les mille coups d’épingle de ce charmant martyre couronné de fleurs.

« Madame, le tapissier dit qu’il y a danger d’incendie, si les lambrequins des tentures ne sont pas éloignés des bougies.

— Madame, Chevet veut installer le petit buffet dans le vestiaire ; où mettra-t-on les manteaux ?

— Madame, la pianiste fait dire qu’elle ne jouera pas si on n’enlève pas les tapis.

— Madame, quel vin donnera-t-on aux musiciens ?

— Madame, on vient d’apporter les fleurs ; elles sont toutes flétries, et ce n’est pas étonnant : elles figuraient hier chez la comtesse de F… ; avant-hier, chez la marquise de P…, et, le jour précédent, chez un agent de change.

— Madame, le jet d’eau du grand salon est arrêté ; le tuyau est crevé et l’eau filtre sous le tapis. »

À ce moment, sept heures sonnent : la divinité qui reçoit ce soir-là l’élite de Paris donnerait volontiers quelques milliers de francs de plus que ne lui coûte sa fête, pour avoir le droit de se mettre au lit. — Ce grand tracas l’a enfiévrée : — l’heure matinale de son lever, le bruit des marteaux, le piétinement des gens de service, le vacarme des meubles qu’on déplace, lui ont donné la migraine. — C’est pourquoi il faut que, toute affaire cessante, elle se mette entre les mains des femmes de chambre, des coiffeurs, etc. — On enferme son corps dolent dans une charmante, mais étroite prison de satin ; — l’artiste capillaire se livre sur sa tête à la fougue d’une composition orageuse et nouvelle, qui consiste à suspendre un diamant ou une fleur à chaque cheveu.

Quand tout cela est fini (et Dieu sait que cela ne finira jamais), on a une heure de répit en attendant les premiers invités — et, pendant cet armistice, on surprend les réflexions de ses domestiques.