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— Pour un jaloux, c’est un rival.

— Pour un envieux, c’est celui qui a ce qui lui serait dû.

— Pour un avare, cela pourrait bien être un voleur.

— Pour un homme malheureux, un passant est un indifférent de plus.

— Pour un pauvre, c’est l’espérance cent fois déçue.

— Pour l’homme qui n’a rien, un passant est toujours un homme qui a quelque chose.

Vous convient-il de descendre dans quelques détails ? — Essayons.

— Pour un tailleur, le passant est quelqu’un qu’il habillerait toujours mieux que cela.

— Pour le charretier chargé de l’arrosage, c’est ce qui fait de la poussière.

— Pour le balayeur, c’est ce qui fait de la boue.

— Pour un cocher, c’est ce qui gêne les voitures et qu’il est malheureusement défendu d’écraser.

— Pour l’ouvrier laborieux et intelligent, c’est son travail qui passe, c’est le consommateur. — Pour l’ouvrier quinteux, utopiste et paresseux, toujours mécontent, c’est celui qui ne fait rien, l’exploiteur… mot terrible sous lequel se cache la pire des haines.

— Pour l’œil d’une femme qui épie derrière sa persienne l’arrivée de celui qui déjà devrait être là, c’est une déconvenue et une impatience : un retard dans un désir.

— Pour le goutteux retenu sur sa chaise longue, c’est un homme diablement heureux, puisqu’il marche.

— Pour le prisonnier, c’est, quel qu’il soit, celui qu’il voudrait être, car c’est la liberté.

— Pour l’agent de police, c’est celui qu’il arrêtera peut-être demain, celui qu’il a peut-être tort de ne pas arrêter aujourd’hui.

— Pour le pick-pocket, — quand ce n’est pas le mouchard qu’il redoute, — c’est son dîner encore égaré dans la poche d’un autre, c’est son fonds de commerce ambulant, c’est ce qu’est le gibier pour le braconnier à l’affût, quelque chose qu’il faut saisir sans bruit et qui peut-être ne vaudra ni la poudre, ni la prison.

Pour un monarque qu’on supposerait égaré par un caprice, comme les califes des Mille et une Nuits, dans les rues de sa capitale, c’est… mais cela dépend des jours et du monarque, c’est un des atomes, soutiens ou terreur de sa puissance, c’est son esclave, sa chose, ou son maître.