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— Monsieur, répondit le petit homme, j’ai une bonne idée… et si je suis demeuré plus longtemps qu’il ne pouvait paraître convenable de le faire, c’est que je tenais à vous l’offrir. Mes confrères, qui sortent d’ici, sont à coup sûr la fleur des lettres et des arts. M’est avis cependant que malgré tous leurs talents ils ne réussiront pas, même en se cotisant, à remplir complètement le but que vous vous proposez.

Paris n’est pas, comme eux, né d’hier ; Paris a deux mille ans, et, de tout temps, les gens d’esprit s’en sont occupés. Mon idée est qu’a tout ce que vont écrire pour vous ces messieurs il ne serait pas mauvais d’ajouter, ne fut-ce que pour pouvoir en faire la comparaison, ce qu’ont dit de Paris, dans le passé, des gens qui les valaient bien. J’ai l’honneur d’être un érudit, et j’ai des cartons pleins de petites notes où sont consignées les opinions des personnages et des écrivains fameux de tous les temps et de tous les pays sur Paris et les Parisiens, depuis César jusqu’à nos jours. Je mets ces précieux cartons à votre disposition.

— Bravo, dit Flammèche, le vieux est souvent le nouveau en matière littéraire. Vous viderez donc vos cartons au profit du tiroir du diable, mon cher monsieur, et Satan deviendra pour autant votre obligé.

— Ce n’est pas tout, dit le petit homme, tout ce qu’on va écrire et dessiner pour vous, cela ne peut pas rester sous le boisseau. Il n’est pas d’artiste pour qui l’argent vaille la publicité, parce que, pour qui fait état de l’approbation publique, la publicité ressemble toujours un peu à la gloire. C’est un livre, et même un grand livre, un livre tout au moins curieux et singulier que vous allez faire ; or, un livre ne s’édite pas, ne se manifeste pas tout seul. Il vous faut un éditeur.

— Qu’est-ce que vous entendez par ce gros mot : un éditeur, mon brave homme ?

— J’entends, répondit le petit homme, quelqu’un qui a pour fonction de s’enrichir ou de se ruiner à la place des auteurs en se chargeant de faire imprimer leurs œuvres, de les répandre dans le public ou de les garder en magasin quand le public répond : « Non ! » à toutes ses avances.

— Le métier est-il bon ? dit Flammèche ?

— Cela dépend, dit le petit homme ; il y a quelques éditeurs très-riches, beaucoup sont pauvres. C’est une profession dangereuse que celle qui consiste à demander un prix quelconque à un public blasé et