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IX

« Décidément, dit le roi des enfers découragé, les morts n’ont plus ni esprit ni gaieté ; encore quelques-uns comme ceux-là, et nous regretterons notre ennui ! » Et déjà, mettant la main dans sa poche, il faisait mine d’y chercher son discours, quand la vue d’une ombre qu’il n’avait point encore aperçue vint fort à propos lui rendre quelque espoir.

X

« Eh ! l’ami, dit-il à un petit vieillard qui était affublé d’une longue robe et d’une toque, et dont le regard curieux se promenait sur l’assemblée, que regardez-vous donc comme cela ?

— Je regarde tout, dit le personnage à qui s’adressait l’interpellation de Satan, et n’ai point eu d’autre envie, en venant ici, que celle de pouvoir enfin regarder.

— Réponds-nous d’abord, lui dit Satan, tu regarderas après. Que faisais-tu sur la terre ?

— J’avais l’honneur d’y professer la philosophie, répondit l’ombre.

— Bah dit Satan, toi, philosophe ?

— Mon Dieu, oui répliqua l’ombre, et j’en rends grâce aux leçons d’un frère que j’avais dans la théologie. »

XI
l’ombre d’un professeur de philosophie.

Voyant que Satan semblait disposé à la laisser parler :

« Telle que vous me voyez dit-elle, j’ai passé mes nuits et mes jours à demander à la science ce que c’était que la vie et la mort, ce que nous étions avant, ce que nous deviendrions après.

— Et qu’en penses-tu ? reprit Satan.

— Ma foi, dit l’ombre en remuant la tête, c’est ici ou jamais qu’il faut être sincère : j’avouerai donc que je n’avais guère appris que des choses assez confuses. Parmi les philosophes, la plupart se contentent de définir, ce qui n’est pourtant pas la même chose que d’expliquer.