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reux, et ce qui me prouva que la guérison était réelle, c’est qu’elle s’opéra sans qu’une seule malédiction sortit de ses lèvres contre Mlle  Léocadie.

Il fut près de trois semaines sans prononcer son nom. Il s’était contenté de me demander si je n’avais pas trouvé quelque part, après sa tentative de suicide, une lettre signée d’elle et de me prier de la lui rendre.

La fièvre étant passée, je fis ce qu’il désirait. Je vis pendant plusieurs jours, et à plusieurs reprises, René lire et relire silencieusement cette longue épître dont tous les mots, comme il me le dit plus tard, étaient une brûlure sur sa plaie. Je le laissai faire, j’étais décidé à ne pas entamer le premier ce chapitre. Un matin, il m’en épargna la peine.

« Mon cher ami, me dit-il, j’ai été un sot. Mais ce n’est pas la plus utile révélation qui soit sortie pour moi de la lecture de la lettre de Mlle  Léocadie à M. Hector. Ce qui en est ressorti encore, c’est que je n’ai vraiment pas le droit de garder rancune de ce qui s’est passé à cette demoiselle. Ce n’est pas sa faute si j’ai pris du noir pour du blanc. Ma folie ne peut faire son crime. Qu’on en veuille à une femme bien élevée, instruite dans la vertu, ayant conscience du bien et du mal, de vous trahir, de mentir, de jouer un rôle et de cacher le vice sous les dehors du bien, je le comprends ; mais pourquoi en voudrais-je à Léocadie ? Je me suis bien plus trompé qu’elle ne m’a trompé. Toute sa faute a été de me laisser mon erreur. Eh bien, de cette faute, je l’absous. Si je comprends bien la lettre de Mlle  Didie à M. Totor, ce couple fantastique n’est peut-être pas perdu sans retour. Mais au lieu de le sauver par l’amour qui est un égoïsme dans son genre, puisqu’il ne donne rien pour rien, c’est par la charité que j’aurais dû entreprendre de le remettre sur ses pieds. Il est possible de faire remonter quelques degrés de l’échelle à ces deux êtres qui, à défaut du reste, ont de l’intelligence, et de cela je n’entends pas démordre. Seulement, au lieu de donner toutes mes pensées à Mlle  Didie, je prétends les partager entre elle et son Totor. Ce pittoresque personnage m’intéresse. Si ce que j’en devine par la manière dont parle de lui une femme qui n’est pas bête est vrai, M. Hector est un bohémien, mais un bohémien de la bonne espèce, un bohémien qui ne déclame pas, un bohémien gai. Dussions-nous être accrochés à une médaille dans l’esprit de Mlle  Léocadie, entreprenons ce double sauvetage.

« Je soupçonne que tu as dû voir, depuis que je suis dans ce lit, la Mme  d’Hervé dont j’avais rêvé d’être l’Antony, et son Antony véritable ; si j’ai bien compris le sens de la correspondance qui a illuminé ma situa-