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« Allons, Hector, assez de bêtises, arrêtons les frais et mettons-nous à piocher. Ma tante m’a dit, le jour où elle m’a flanquée sur le pavé (j’avais treize ans) : « Didie, tu as appris à lire en quinze jours, à écrire en un mois, et l’orthographe en lisant des vaudevilles ; tu peux prétendre à tout. » Ma vieille tante devait s’y connaître.

« J’entends dire que l’art est une religion ; eh bien ! va pour la religion de l’art ! Puisqu’elle permet le péché, c’est la seule qui puisse nous convenir.

« Dans ce bas monde il faut avoir une idée fixe. Ayons-en une. Il n’y a rien d’heureux comme les gens pour qui les vessies sont des lanternes. Ils voient clair la nuit, leur tête est pleine d’étoiles, ils ont dans le cerveau un ciel complet ; tout ce qui touche à leur idée est superbe, leur maîtresse est la lune, leur ami est le soleil. René a la chance d’être si parfaitement toqué, qu’il y a de par le monde un monsieur, un simple monsieur, qu’il considère comme le vrai Dieu. Je lui ai demandé son nom d’homme à son dieu, il me l’a dit et ça m’a fait rire. Mais lui il est resté sérieux comme un âne qu’on étrille ! Eh bien ! c’est là le bonheur, et ce bonheur-là, qui consiste à mettre sa joie dans une baliverne quelconque, il est à la portée de tout le monde et même à la nôtre. Faute de mieux, arrangeons-nous-en donc.

« Mais ce n’était pas pour nous faire un sermon que je t’écrivais ; c’était pour laisser passer la pluie et pour t’envoyer mon portrait. Je ne sais pas si cette figure-là est la mienne, mais elle est diablement jolie. René a voulu m’avoir, même en peinture, et il a si bien payé le peintre, que celui-ci, galamment, a fait deux portraits au lieu d’un de Mlle Didie, et en cachette m’a donné le second. Il pensait bien qu’un original comme ta servante ne devait pas être embarrassé de trouver le placement de sa copie.

« J’ai dit : « Bon ! voilà l’affaire à Totor. »

Et si je ne suis pas là,
Mon portrait, du moins, y sera.

« Mais mon portrait n’est que pour te mettre en goût : je n’y tiens plus, dès demain je prends ma volée du côté de la place Louvois ; il y a trop longtemps que je ne t’ai vu, aussi ! attends-moi donc. J’arriverai vers dix heures du matin. Habille-toi en marquis pour me recevoir, et bats aux champs quand je ferai mon entrée dans ton palais. Il convient de faire rire encore une fois ton propriétaire.