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C’était à s’y perdre.

J’étais plongé dans ces douloureuses réflexions, quand, en interrogeant le pouls de René, j’aperçus dans sa main gauche, entre ses doigts fermés, un papier taché de sang.

Je parvins à rouvrir, à détendre cette main que la douleur, que la colère peut-être avait roidie, et j’en tirai l’étrange lettre que voici, explication trop claire de ce qui venait de se passer :

à monsieur hector, artiste dramatique.
« Mon gros chien,

« Fais le mort pendant quelque temps encore, prends patience. Mon apôtre va comme sur des roulettes. Il est sérieusement riche ; il est bon enfant, et, sans être plus bouché qu’un autre, il est d’une incommensurable crédulité. Les affaires sont si faciles avec lui, que c’en est honteux. Meubles, maisons, voitures, rentes, professeurs, claqueurs, et du respect par-dessus le marché, j’aurai tout avec lui. Il n’y a de trop que le respect.

« Le jour où ce bel innocent est tombé à mes genoux du haut des clochers de Chartres, je lui ai fait au pied levé des contes de l’autre monde ; il a tout cru.

« Que c’est bête à moi de lui avoir dit, pour faire ma tête, que j’étais mariée ! il était fichu, ayant le reste, de me demander ma main par-dessus le marché. Dis donc, Totor, sais-tu un moyen de se défaire d’un mari qui n’a jamais existé ?

« Mais je ris ; quant à ça, je n’en voudrai jamais assez à un homme pour le conduire à cette extrémité. J’ai pour principe qu’il ne faut faire que le mal qui peut passer.

« Il y a des moments où, devant la confiance sans bornes de ce grand, de ce charmant bébé, il me prend des scrupules : je lui voudrais plus de défense. D’autres fois, je me dis, quand je le vois, pour tout ce qui n’est pas moi, aussi et plus avisé que n’importe qui : « Ce n’est pas possible ; c’est un garçon qui fait la bête pour me faire poser ! Un de ces matins, il va me dire : « Veux-tu finir ? » Mais non, René m’aime, il m’aime autant et plus encore qu’il ne croit. Expliquez-vous donc ça !