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étranger. Je donnai l’ordre à la concierge de m’appeler quand le maître du logis se présenterait. Je ne doutais pas que, quel qu’il fût, il ne consentît à nous céder la place.

VIII

J’avais cru tout d’abord à un accident. J’avais pensé que René, trouvant des pistolets et ne les croyant pas chargés, les avait maniés imprudemment. Mais après les paroles qui lui étaient échappées, l’illusion n’était pas possible. Je l’avais bien entendu :

« Je me suis tué, avait dit René.

« Je me suis tué ! » Qu’avait-il pu se passer dans ce cerveau, pour que l’idée de la mort s’en fût instantanément emparée ? Ce suicide étrange, comment s’en rendre compte, de la part d’un homme qui venait de se déclarer en plein bonheur, qui, deux minutes avant de se livrer au dernier acte de désespoir, hâtait avec une vivacité juvénile l’heure prochaine de son déjeuner ?

La chambre où le plus funeste des hasards nous avait conduits n’avait rien de funèbre. Quel fantôme, invisible pour tout autre, avait donc pu apparaître dans cette chambre aux yeux de mon cher René ? Elle était bien telle que l’avait dépeinte la concierge : une chambre d’artiste, d’artiste de bas lieu, du désordre partout, un désordre burlesque, des fleurets, des plastrons, de vieilles armes ébréchées et rouillées, des instruments de musique, une guitare pendue à la muraille à côté d’un costume de marquis, une perruque à queue rouge sur un guéridon, quelques essais de peinture, des tableaux sans cadre accrochés au mur ; sur le lit, un masque et un faux nez ; par terre, aux pieds de René, une miniature. Rien, rien là dedans, semblait-il, qui pût conduire à une pensée de mort une imagination exubérante sans doute, mais où l’enthousiasme du beau et du bon l’emportait de beaucoup sur les idées mélancoliques.

Léocadie ! ce nom qui le matin m’avait fait sourire quand pour la première fois René l’avait prononcé devant moi, ce nom avait été aussi, je m’en souvenais bien, le dernier qu’eût murmuré sa bouche avant son évanouissement, le dernier qui dût sortir de ses lèvres peut-être. Était-ce alors un adieu à la femme aimée, ou bien, revenant ainsi à ce moment suprême, ce nom n’était-il pas plutôt une suprême objurgation et comme l’explication du fait qui allait terminer sa vie ?