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« Quel cas étrange ! dit-il à son aide qui venait d’entrer ; la balle ne paraît pas avoir pénétré dans le cerveau. Les parois osseuses ne sont point défoncées, voilà le trou qu’elle a fait cependant, où peut-elle être ?

« Pardieu, ajouta-t-il après s’être livré à un examen minutieux, par-dieu, je ne me trompe pas, ce ne peut être qu’elle que je sens là, sous mon doigt, entre la mâchoire et l’oreille. Mais comment s’y est-elle prise pour descendre si bas ? Elle s’est donc creusé un tunnel ?

« C’est égal, dit-il en s’adressant à moi, si je peux ravoir la balle sans faire d’incision, si elle veut bien reprendre la route qu’elle a déjà faite, si aucun accident nerveux trop grave ne se déclare, il n’y a rien de perdu peut-être, et votre ami pourra se vanter d’avoir joué à un jeu auquel quatre-vingt-dix-neuf autres sur cent auraient perdu la vie. »

Sans une contraction spasmodique, et en quelque sorte intermittente, qui révélait que René respirait encore, quand la sonde pénétrait dans sa blessure, on eût dit que nous n’avions plus sous les yeux qu’un cadavre.

L’opération fut faite avec l’aide d’une petite pince et d’une sorte de crochet fort mince que l’habile praticien maniait avec une dextérité que je ne pus m’empêcher d’admirer. Je vois encore ces mains habiles, agissant lentement, mais sûrement, sur la balle, pour ménager les fibres délicates et si nombreuses qui s’entre-croisent autour des tempes, et la balle, remontant peu à peu par l’ouverture qu’elle avait faite, comme si elle eût obéi à une puissance mystérieuse, comme le fer obéirait à l’aimant. Quelques mouvements convulsifs, que j’avais le cruel devoir de comprimer, des cris instinctifs, étouffés, signalaient seuls la présence de la vie dans le pauvre patient. Quand la balle fut dans les mains de l’opérateur, je respirai. Il envoya chercher de la glace ; il en plaça sur le front du malade, et par-dessus des compresses sur la plaie même.

« Et maintenant, dit-il, un calme absolu ; pas d’émotion surtout ! Si le malade revient à lui, il se peut qu’il ait perdu la mémoire, qu’il ait le délire ; calmez-le par de bonnes paroles, gardez-vous de le contredire, dites-lui qu’un accident l’a mis dans cet état. Pas de visites surtout, et espérons. Vous pouvez avoir confiance dans la personne qui m’assiste comme, en moi-même. Je m’en vais presque tranquille ; je reviendrai ce soir. »

Ce ne fut que quand la première émotion fut passée, ce ne fut que lorsque je me trouvai au pied du lit où gisait mon pauvre ami, et forcé d’attendre dans le silence et du temps seul la réponse à mes angoisses, que je me rappelai tout à coup que nous étions dans le domicile d’un