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des lieux où je vais peut-être, et pour longtemps, enterrer ma trop brillante jeunesse.

— C’est entendu, me dit-il ; mais quand nous aurons visité cet appartement, tu m’appartiendras ; nous irons déjeuner au café Cardinal : je te donnerai une omelette aux rognons pour deux, il n’y a pas d’arêtes là dedans et tu pourras m’écouter tout en mangeant. »

Jamais je n’avais vu René plus gai ; le plaisir de débarrasser son cœur du seul secret qu’il eût eu pour moi l’avait comme allégé.

« Et dis-toi bien une chose, ajouta-t-il en traversant lestement la place pour arriver à la maison que nous avions en vue, c’est que ce n’est pas un conseil qu’il me faut, mais ton approbation pleine et entière, mais des félicitations ! Je veux que dans quinze jours tu sois aux pieds de Léocadie ; tu verras ! tu verras ! Ah ! si elle était libre !

— Que ferais-tu ? lui dis-je.

— Ce que je ferais ? Je l’épouserais, parbleu !

— Tu l’épouserais !…

— Et ce ne serait pas long, reprit-il. Ne sommes-nous pas convenus cent fois qu’il n’y avait de mariages de raison que les mariages d’inclination ? Ne suis-je pas riche pour deux ?

— Riche pour deux, oui, et amoureux pour dix, je le vois bien, » répondis-je en essayant de rire.

VII

Mais déjà René était en conversation intime avec mon futur concierge : je ne tardai pas à comprendre, en l’écoutant, toute la supériorité de ses manières sur les miennes en ce qui concerne les portiers. Le premier mot échangé entre ce nouveau Cerbère et René avait été une pièce de vingt francs. Exaltée par ce préambule, la portière, une femme encore jeune et d’un extérieur avenant, coupa la parole à son mari, ne s’en rapportant qu’à elle, sans doute, de répondre à des locataires qui parlaient si bien la langue aimée des portiers.

« Le petit appartement que monsieur va voir est charmant, dit-elle ; il se compose de trois pièces et d’une petite antichambre. Il y a deux entrées, l’une à droite, l’autre à gauche, sur le palier, ce qui est bien commode. Le salon s’ouvre sur une petite terrasse, d’où l’on a de l’air