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« Dites au cintième, me dit-il d’un ton rogue et gourmé, il y a un entre-sol. On ne trompe pas le monde ici.

— Montons toujours, j’ai de bonnes jambes, lui répondis-je.

— Que monsieur me suive pour lors ; mais, que monsieur le sache, j’ai eu aussi des jambes ; tout le monde en a eu, des jambes, dans son temps ; monsieur ne sera pas toujours jeune non plus. »

Nous montons un étage, puis deux ; mon cerbère s’arrêta pour souffler, et l’interrogatoire suivant commença :

« Monsieur est garçon ?

— Oui.

— Tout à fait garçon ?

— Tout à fait.

— C’est que la maison n’admet que des personnes qui ont des principes, et je préviens monsieur…

— C’est bon, lui dis-je non sans humeur, je vous comprends, je suis prévenu. »

Je pris les devants et l’ascension continua. Le portier me suivait majestueusement, lentement, posément, accentuant lourdement chaque marche avec un flegme irritant. Quand nous fûmes arrivés au troisième :

« Monsieur n’a pas de chien ? me dit-il.

— Non.

— Pas de chat ? pas de perroquet ? pas d’enfant ? pas de piano ?

— Non.

— Monsieur joue peut-être du cornet à piston ?

— Non.

— Ou de la clarinette ?

— Je ne joue de rien.

— Monsieur fume-t-il la pipe ?

— Non.

— Monsieur rentre-t-il souvent à des heures indues ?

— Non.

— Monsieur découche-t-il ?

— Non.

— Monsieur fait peut-être son ménage lui-même ? ajouta-t-il en jetant sur ma tenue, une tenue du matin, un regard sournois.

— Eh non ! répondis-je.

— Pour lors, tant mieux pour monsieur, dit-il, surtout si ma femme consent à le faire.