Page:Gavarni - Grandville - Le Diable à Paris, tome 1.djvu/202

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui suivent la voie droite, quelque mérite qu’elles y aient, mais plus spécialement sur le sort des infortunées qui s’égarent dans les chemins de traverse de l’amour. Toute la pitié, toute la charité, tout l’intérêt fut pour celles-ci pendant quelques années. La réhabilitation par l’amour de la femme tombée, l’émancipation du sexe faible, ce fut alors le rêve de tout ce qui était jeune. Ce fut celui de mon ami René.

Pour s’entendre appliquer par quelque moderne Marion ces deux vers du poëte :

De l’autre Marion rien en moi n’est resté ;
Ton amour m’a refait une virginité,


et pour refaire à une âme égarée ce que Didier était parvenu à refaire à Marion, il eût donné sa fortune et sa vie.

À la poursuite de ce rêve sa folie atteignit quelquefois des proportions épiques.

Son prétendu scepticisme avait fondu comme cire aux premières prédications de Ménilmontant. Si le costume saint-simonien lui eût plu, s’il eût été plus étoffé, René fût devenu bientôt un des apôtres visibles de la doctrine ; mais l’uniforme seul lui manqua. Disciple fervent, il portait partout la parole nouvelle et partout la répandait à flots.

René parlait beaucoup et même bien. Quand il tenait un de ses thèmes favoris, il montait par l’émotion jusqu’à l’éloquence, qui peut, plus souvent qu’on ne le croit généralement, se passer de bon sens et de raison.

C’était surtout dans les lieux ouverts à cette partie de la plus belle moitié du genre humain qui semble avoir renoncé à la famille, c’était dans les bals publics qu’il aimait à exercer son singulier talent d’improvisation. Tout prétexte lui était bon pour prêcher son petit évangile. Que de fois j’ai vu les danses s’arrêter, le cercle bizarre des pierrots et des débardeuses se former autour de lui, et l’orchestre être contraint de se taire devant la parole enflammée de ce charmant apôtre !

Que disait-il ? Ce qu’ont dit dans tous les temps les prédicateurs qu’on écoute : « Soyez bons, — la bonté n’est pas une vertu, c’est un devoir ; — la charité envers le prochain n’est qu’une dette ; l’amour est une obligation pour quiconque respire ; — ne méprisez rien en ce monde : le vicieux n’est qu’un malade, le méchant n’est qu’un fou, la femme égarée