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et bien préparée, elle y trouve une exposition convenable, et les soins nécessaires… Six fois sur dix cependant elle végète ! et vous voudriez qu’en la laissant tomber dans quelque ruelle sombre où le soleil n’a jamais eu ses entrées, où l’on ne peut la cultiver que par des procédés artificiels, vous voudriez qu’elle se métamorphosât en immortelle ! Ceci n’est pas soutenable.

Dieu me garde de médire systématiquement des pauvres êtres qui, dans le voyage de la vie, délaissent la grande route pour nous suivre ou nous précéder dans les sentiers perdus du sentiment. Mais de ces équipées, mais de ces échappées au bout desquelles tôt ou tard la terre finit par manquer sous vos pas, que peut-il jamais advenir ? On a découvert, j’y consens, que toutes les femmes, et même les pires, peuvent être parfaites pendant cinq minutes ! La triste affaire, cependant, que ces rencontres d’où il ne peut rester à chacun, finalement, que de la stupeur ! Le devoir ne fut-il qu’une lanterne, gardons-la, cette humble lanterne, pour éviter les fondrières.

III

René et moi nous venions d’atteindre cet âge où tout pas fait hors de la vie commune semble une conquête, où l’on ne croit pouvoir prouver sa force que par ses écarts, où l’on imagine que la liberté ne consiste qu’à faire ce qui est défendu. Il y avait d’ailleurs en ce temps-là comme une folle croisade contre tout. Le besoin de respirer était si grand, que pour respirer mieux on brisait les fenêtres. C’était un assez beau temps. Nous avions la tête à l’envers, l’air était plein d’utopies absurdes, mais généreuses, dont la plus impraticable nous eût trouvés prêts au martyre. Ces époques trop chaudes inquiètent les contemporains : c’est un tort, elles sont toujours fécondes. Je les préfère aux temps froids, et si je ris d’elles aujourd’hui, c’est comme on rit de ce qu’on a aimé et de ce dont on a été ; ce n’est certes pas pour prôner le givre et le verglas.

Au nombre des chimères de 183., la plus séduisante avait pris corps sous la main du génie, des hommes d’esprit s’en étaient emparés, et elle était devenue la pierre angulaire d’une doctrine, laquelle eut alors des martyrs qui, grâce à Dieu, se portent bien aujourd’hui. On s’était attendri démesurément sur le sort des femmes, non pas sur le sort des femmes