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LE JOUR DE MADAME

par gustave droz

C’est dans le petit salon que madame reçoit ; on y est plus chez soi, les meubles sont plus intimes et les fenêtres au midi donnent sur le jardin.

Malgré les stores de soie rose tendus sous les rideaux, le gai soleil de mai pénètre joyeusement, caresse en passant le velours et le satin, se joue dans les rideaux, arrache aux vieux cadres des éclats mal éteints et noie toute la pièce dans une poussière d’or.

On se sent bien dans ce petit salon, il y a là un air de fête et de gaieté qui vous ravit d’abord, un mélange délicieux de confortable, de luxe et de simplicité, de désordre et de recherche qui sent sa Parisienne de bonne maison et vous invite à causer. C’est madame évidemment qui, ce matin, gantée de Suède et armée de son petit plumeau à manche d’ivoire, a fait sa ronde et préparé toute cette confusion ; elle qui, mignonnement, coquettement, à petits coups, a épousseté les mille riens luxueux de ces étagères et disposé les fleurs qui embaument là-bas ; elle qui a mis sur la table de Boule cette coupe et ces bonbons, ces livres entr’ouverts, dorés comme des suisses d’église, ces journaux et ces brochures au milieu desquels on distingue la pièce nouvelle, la Semaine religieuse, le discours sur les sucres prononcé avant-hier à la Chambre, un sermon du père Félix, et des billets de loterie pour les petits Chinois — que d’art dans ces détails ! — elle qui a jeté sur le piano ouvert une partition de Gounod annotée au crayon ; elle enfin qui a répandu un peu d’elle-même jusque dans les plus petits coins et a laissé dans l’atmosphère son parfum de Parisienne et de femme du monde.

Ce n’est là ni un salon, ni une chambre à coucher, ni un boudoir, ni un cabinet de lecture, ni un atelier ; ce n’est rien de tout cela, et c’est tout cela à la fois. C’est un adorable milieu, tout de fine élégance, et de luxueuse fantaisie. C’est le cadre où madame aime à poser au naturel, c’est le temple adorable où du fond de son fauteuil, le pied en l’air et la jupe étalée, elle donne audience, le temple où elle exhibe officiellement ses grâces, met sa beauté en chapelle et officie de trois à six au milieu de ses fidèles.