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les tourments incessants, les inquiétudes perpétuelles qui l’accompagnent.

— Lieux communs que tout cela, mon cher voisin : consolations banales du pauvre à son confrère ; dérision insolente du riche, quand c’est lui qui tient ce langage. »

Le voisin réfléchit, et après un long silence il dit à Marc-Antoine :

« Eh bien ! répondez franchement : qui donc enviez-vous parmi ceux qui vous entourent ? à la place de qui voudriez-vous être ?

— À la place de qui ? fit Marc-Antoine. Mais il n’y en a pas un seul qui ne soit plus heureux que moi ; et puisqu’en fait de désirs le champ est libre, et qu’on ne vole personne en prenant en rêve le bien des autres, pensez-vous que je n’aimerais pas mieux être dans la position des Crivelin que dans la mienne ?

— Vraiment ?

— Mais dame ! la semaine dernière je n’ai pas dormi de la nuit, du bruit de la fête qu’ils ont donnée. Les plus magnifiques équipages encombraient la rue ; les noms les plus considérables étaient annoncés à voix de stentor à la porte de leurs salons. Ceux qui entraient brûlaient d’arriver, ceux qui partaient regrettaient de s’en aller ; et sur l’escalier où j’ai passé dix fois, sortant de chez moi, y rentrant sans cesse pour fuir ce bruit de fête déchirant, j’entendais à toutes les marches :

« — Quelles aimables gens ! Quelle gaieté ! Comme on voit bien qu’ils sont heureux ! »

« Et d’autres disaient :

« — Ils marient leur fille au comte de Formont. Un beau mariage ! Jeunesse, beauté, fortune, considération des deux côtés. Ils sont heureux, mais ils le méritent bien. »

— Ah ! fit le voisin, vous avez vu et entendu tout cela sur l’escalier ?

— Oui-da !

— Eh bien ! si vous étiez entré dans le salon, c’eût été bien mieux : partout la joie, le rire, les félicitations ; et sur le visage des maîtres de la maison la satisfaction du bonheur que procure le bonheur qu’on donne ; et de tous côtés, des assurances d’amitié, et l’ivresse du comte de Formont, et la joie retenue d’Adèle de Crivelin, et leurs regards furtivement échangés, et le doux et bienveillant sourire des vieillards qui surprennent ces regards et rêvent de leur passé ; et l’orgueil du