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la doit toujours (c’est-à-dire parce qu’on emprunte pour payer ce qu’on a emprunté). Ce qu’il avait surtout supprimé de ses comptes comme un des rêves les plus trompeurs de la finance, c’était le chapitre des ressources imprévues. Marc-Antoine avait 1 800 francs, il ne comptait que sur 1 800, et encore comptait-il avec eux, ne les prenant que pour 1 700 francs, vu que la loi à venir sur les pensions pouvait lui imposer une retenue ou le forcer à quelque opération d’assurance. Chaque dépense était invariablement cotée, prévue et couverte. Grâce à beaucoup de sobriété, il épargnait sur ses repas pour être bien vêtu ; et grâce à beaucoup de circonspection dans tous ses mouvements, il maintenait ses habits dans un état de fraîcheur encore décente, alors que, sur les épaules d’un gesticulateur, ils eussent été déjà flétris depuis longtemps. Riponneau ne se permettait d’étendre démesurément ses bras et ses jambes, et de se tirer à son aise dans sa peau, qu’à l’heure où il était débarrassé de tout vêtement avariable par trop de liberté dans les mouvements. Mais il faut dire qu’à cette heure il s’en dédommageait amplement, et c’était par la pantomime la plus désordonnée qu’il accompagnait les exclamations suivantes :

« N’avoir que 1 800 francs, et porter en soi le germe de toutes les grandes pensées ! »

Le germe de toutes les grandes pensées, soit, à proprement parler, le désir de toutes les jouissances luxueuses de la vie.

« Ah ! continuait Marc-Antoine, être pauvre et voir en face de soi, là, au premier de cette grande maison, un M. de Crivelin et une Mme de Crivelin ! Ils sont riches, et tout leur rit ; le monde les flatte ; ils sont heureux ! »

Ici maître Riponneau frappait du pied.

« Si seulement, continuait-il, j’étais comme ce M. Domen, qui occupe tout le second de notre maison, quel autre usage je ferais de ma fortune, que celui qu’il fait de la sienne ! Mais qu’importe ? il est heureux à sa manière, puisque pouvant vivre partout il ne vit que chez lui ; tandis que moi, il faut que je me prive de tout. D’ailleurs, n’eût-il pas la fortune, il a la gloire, la considération. Tonnerre et tonnerre ! il est heureux ! » À ce passage de ses doléances, Riponneau trépignait. Puis venaient de nouvelles exclamations, et sur le bonnetier qui occupait le magasin de droite de la porte cochère, et sur le confiseur qui occupait le magasin de gauche, et sur tous les locataires de la maison, les uns après les autres ; car, par exception, cette maison était splendidement habitée : la-