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j’ose même dire plus chrétienne, que le bon roi Robert en laissant un pauvre couper la frange de son manteau ? Le bon roi Robert, d’une part, avait évidemment quantité de manteaux : d’un autre côté, il était à table, dit l’histoire, lorsqu’un mendiant s’approcha de lui en se traînant à quatre pattes, et coupa avec des ciseaux la frange d’or de l’habit de son roi. Madame la reine trouva la chose mauvaise, et le digne monarque, il est vrai, pardonna généreusement au coupeur de frange ; mais peut-être avait-il bien dîné. Vois quelle distance entre lui et Mimi ! Mimi, quand elle a appris l’infortune de Rougette, assurément était à jeun. Sois convaincu que le morceau de galette qu’elle avait emporté de chez moi était destiné par avance à composer son propre repas. Or, que fait-elle ? Au lieu de déjeuner, elle va à la messe, et en ceci elle se montre encore au moins l’égale du roi Robert, qui était fort pieux, j’en conviens, mais qui perdait son temps à chanter au lutrin pendant que les Normands faisaient le diable à quatre. Le roi Robert abandonne sa frange, et, en somme, le manteau lui reste ; Mimi envoie sa robe tout entière au père Cadédis, action incomparable en ce que Mimi est femme, jeune, jolie, coquette et pauvre ; et note bien que cette robe lui est nécessaire pour qu’elle puisse aller, comme de coutume, à son magasin, gagner le pain de sa journée. Non-seulement donc elle se prive du morceau de galette qu’elle allait avaler, mais elle se met volontairement dans le cas de ne pas dîner. Observons en outre que le père Cadédis est fort éloigné d’être un mendiant, et de se traîner à quatre pattes sous la table. Le roi Robert, renonçant à sa frange, ne fait pas un grand sacrifice, puisqu’il la trouve toute coupée d’avance, et c’est à savoir si cette frange était coupée de travers ou non, et en état d’être recousue ; tandis que Mimi, de son propre mouvement, bien loin d’attendre qu’on lui vole sa robe, arrache elle-même de dessus son pauvre corps ce vêtement, plus précieux, plus utile que le clinquant de tous les passementiers de Paris. Elle sort vêtue d’un rideau ; mais sois sûr qu’elle n’irait pas ainsi dans un autre lieu que l’église ; elle se ferait plutôt couper un bras que de se laisser voir ainsi fagotée au Luxembourg ou aux Tuileries ; mais elle ose se montrer à Dieu, parce qu’il est l’heure où elle prie tous les jours ; crois-moi, Eugène, dans ce seul fait de traverser avec son rideau la place Saint-Michel, la rue de Tournon et la rue du Petit-Lion, où elle connaît tout le monde, il y a plus de courage, d’humilité et de religion véritable, que dans toutes les hymnes du bon roi Robert, dont tout le