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Pauvre petite robe ! il me semble qu’elle est toute neuve. J’ai un plaisir à me sentir dedans !

— Et votre secret ? nous le direz-vous maintenant ? Voyons, soyez sincère, nous ne sommes pas bavards. Pourquoi et comment une jeune personne comme vous, sage, rangée, vertueuse et modeste, a-t-elle pu accrocher ainsi d’un seul coup toute sa garde-robe à un clou ?

— Pourquoi ?… pourquoi ?… » répondit mademoiselle Pinson, paraissant hésiter ; puis elle prit les deux jeunes gens chacun par un bras, et leur dit en les poussant vers la porte :

« Venez avec moi, vous le verrez. »

Comme Marcel s’y attendait, elle les conduisit rue de l’Éperon.

VIII

Marcel avait gagné son pari. Les quatre francs et le morceau de galette de mademoiselle Pinson étaient sur la table de Rougette avec les débris du poulet d’Eugène. La pauvre malade allait un peu mieux, mais elle gardait encore le lit ; et, quelle que fût sa reconnaissance envers son bienfaiteur inconnu, elle fit dire à ces messieurs, par son amie, qu’elle les priait de l’excuser, et qu’elle n’était pas en état de les recevoir.

« Que je la reconnais bien là ! dit Marcel ; elle mourrait sur la paille dans sa mansarde, qu’elle ferait encore la duchesse vis-à-vis de son pot à l’eau. »

Les deux amis, bien qu’à regret, furent donc obligés de s’en retourner chez eux comme ils étaient venus, non sans rire entre eux de cette fierté et de cette discrétion si étrangement nichées dans une mansarde. Après avoir été à l’École de médecine suivre les leçons du jour, ils dînèrent ensemble, et, le soir venu, ils firent un tour de promenade au boulevard Italien. Là, tout en fumant le cigare qu’il avait gagné le matin :

« Avec tout cela, disait Marcel, n’es-tu pas forcé de convenir que j’ai raison d’aimer, au fond, et même d’estimer ces pauvres créatures ? Considérons sainement les choses sous un point de vue philosophique. Cette petite Mimi, que tu as tant calomniée, ne fait-elle pas, en se dépouillant de sa robe, une œuvre plus louable, plus méritoire,